LIVRES HEBDO, Olivier Mony, vendredi 14 février 2020


« Des mots, des morts »

« Le premier et le dernier. En publiant conjointement son dernier roman L’Annexe et son premier (jusqu’ici jamais paru en France) Deuils cannibales et mélancoliques, Sabine Wespieser fait la démonstration de l’importance essentielle de l’œuvre de Catherine Mavrikakis, non seulement pour la littérature canadienne d’expression française, mais au-delà dans l’ensemble du champ littéraire. Cela ne surprendra que ceux qui n’auraient pas eu encore la chance de la lire.

Il est fascinant de voir combien son œuvre s’articule depuis toujours autour de grandes obsessions (le passé, la disparition, l’absence, le livre) et comment la façon dont elle les aborde a peu à peu muté, tout en déclinant sa palette du romanesque.

Catherine Mavrikakis a donc fait son entrée dans le roman avec Deuils cannibales et mélancoliques qui porte la trace de son époque, ces temps qui furent ceux de l’auteur où une maladie au nom d’acronyme faisait mourir à trente ans… La mort est plus que le sujet du livre, c’est son décor, son héroïne impérieuse, tandis que sa narratrice ne vit qu’entourée de personnes qui la trouvent, volontairement ou non. Tous des garçons. Tous s’appellent Hervé. Bien entendu, on ne saurait ici ne pas penser à la figure et aux livres ultimes d’Hervé Guibert, mais il y a dans cette espèce de métaphysique tragique, de déconstruction volontaire du récit, quelque chose qui peut aussi évoquer les errances noires du grand Maurice Blanchot.

C’est volontairement que l’on cite ici ces auteurs tant, vingt ans après, L’Annexe est finalement avant tout une ode à la littérature, à la lecture, seule à même de donner envie de vivre sa vie.

[…] Avec la complicité d’un mystérieux intendant cubain et homosexuel, [Anna] évolue moins auprès de ses congénères de mauvaise fortune que dans l’immense bibliothèque du lieu. Elle le sait, elle le devine, c’est là que se trouve cachée la clé de sa liberté et de la compréhension de ce monde réduit aux acquêts. »