L’OBS, Jérôme Garcin, jeudi 29 septembre 2022


Jeanne brûlée vive

Même son agonie la dégoûte. Jeanne a épuisé ses réserves  de mansuétude, mais il lui en reste un peu pour la haine et l’aversion. Son père âgé est prostré sur une chaise d’hôpital. Il sent l’urine, bave et peine à parler. Soudain, il attrape le poignet de sa fille, lui dit qu’il l’aime et lui demande pardon. Elle le regarde fixement et lui crache au visage. Il est mort quelques heures plus tard, au petit matin. Pas de pitié pour les monstres. Le père en était un. Chauffeur routier dans le canton suisse du Valais, alcoolique, obscène et tyrannique, il ne rentrait chez lui que pour s’enivrer, armer son fusil et torturer les siens. Sa femme, qu’il insultait, cognait, traînait sur le sol par les cheveux, bombardait de bouteilles en verre, dont l’obstinée résignation ajoutait encore à la violence du bourreau. Sa fille aînée, qu’il frappait avec ses « paluches d’ogre », qu’il violait, dont il enfonçait la tête dans la baignoire, et qui finira par se suicider après s’être prostitué. La cadette, la narratrice de cette chronique d’un calvaire, sur lequel même le médecin du village fermait les yeux, qui sut très tôt, que son salut passerait par la fuite. […]