LUXEMBURGER WORT, Sophie Guinard, mercredi 12 décembre 2012


« Vivre et survivre : avoir vingt ans et fuir les ténèbres du passé »

« Les Paradis aveugles ce sont ceux que les communistes vietnamiens ont tenté de faire advenir sur leur terre par le biais du marxisme, au prix du malheur de tout un peuple et de la désillusion de nombre de ses partisans. Dans ce premier roman publié en 1988 au Vietnam, Duong Thu Huong dénonce à travers le regard d’une jeune fille les ravages de la révolution agraire. Le livre et le succès qu’il remporta au Vietnam provoquèrent l’arrestation de son auteure.

Hang a une vingtaine d’années et, obligée de gagner sa vie, doit abandonner ses études pour s’exiler en URSS. Un long voyage en train vers Moscou – où vit son oncle Chinh, l’âme damnée de la famille – est le prétexte à se souvenir de ses rêves brisés et de ses passions mortes, de sa famille et du contexte dans lequel elle a grandi. […]

Écrit avant les romans qui en ont fait une ambassadrice de la littérature vietnamienne à l’étranger – Terre des oublisAu zénithSanctuaire du cœur – Les Paradis aveugles présente déjà les ingrédients qui contribuent à la puissance évocatrice des histoires de Duong Thu Huong. Une langue musicale et poétique qui peint à merveille les rizières dorées par la lumière du soir, la magie de la baie d’Along, le Hanoï des petites gens et les paysages enneigés de Russie. Un vocabulaire imagé et exotique pour dire l’omniprésence de la nourriture qui prend ici toute sa valeur symbolique et qui représente également le maintien des traditions, la permanence d’une culture que rien, pas même l’idéologie, ne peut enlever. On retrouve dans ce livre les thèmes récurrents de la fidélité aux ancêtres et à leur mémoire, du sens de l’honneur, de l’incapacité à supporter la honte et l’humiliation, de l’obéissance aveugle aux conventions sociales… toute une manière d’être enracinée dans l’âme vietnamienne qui rend la prise en main de leur destin difficile par les individus.

Toute l’œuvre de l’écrivain dissidente, qui vit aujourd’hui en exil à Paris, dénonce ainsi la compromission des intellectuels et la misère du peuple. Une mise en avant de la dimension tragique de la condition vietnamienne d’une force romanesque exceptionnelle: cette fois encore, la voix pleine de charme de Duong Thu huong crie la révolte et la honte, la paix et la fierté, et surtout l’amour de son pays. »