LE MONDE DES LIVRES, Florence Noiville, vendredi 7 décembre 2012


« La secrète », « Portraits de femmes

« La lecture d’Une chambre à soi, de Virginia Woolf, a provoqué son désir d’écrire. Depuis, dans le silence et la solitude qu’elle aime par-dessus tout, cette Irlandaise cisèle ses textes plein de violence, comme en témoignent les nouvelles d’À travers les champs bleus. […]
Apparemment, tout est calme et tranquille dans les nouvelles de Claire Keegan. On vaque à des tâches agricoles très anciennes, il faut traire les frisonnes, enclore les bons prés tournés vers le sud, couper l’orge d’hiver qui jaunit déjà, épandre le fumier… Parfois, on descend sur la plage. Il y a des pierres plates et blanches cliquetant dans le soleil comme de la faïence de Delft. Dieu, sûrement, est dans la nature, pense un personnage. Dans la nature peut-être, mais pas dans les familles rurales que décrit Keegan. Celles-ci ressemblent plutôt à des enfers domestico-conjugaux où les êtres s’étiolent, étouffant silencieusement sous le conservatisme et le poids des préjugés. […]
Chez Keegan, les hommes, qui préfèrent leurs terres à leur épouse, ont rarement le beau rôle. Les femmes, elles, font des personnages grandioses. Affrontant les difficultés – le lait ne paie plus, il faut vendre un cheval pour acheter le billet pour l’Amérique –, elles se montrent courageuses et volontaires, prenant leur destin en main et vengeant au passage des générations d’Irlandaises opprimées. Comme dans L’Antarctique et Les Trois Lumières, chaque phrase est sculptée. Chaque mot pesé au trébuchet. Chaque silence calculé. Ce n’est pas un hasard si une des héroïnes lit des nouvelles de Tchekhov. Faites découvrir Keegan autour de vous, vous ferez des heureux. »