MAZE, Anaïs Dinarque, mardi 17 janvier 2023


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La philosophe et enseignante chercheuse Camille Froidevaux-Metterie publie son premier roman aux éditions Sabine Wespieser. Celle qui a fait du corps des femmes son sujet central, poursuit sa réflexion dans la fiction.

Pleine et douce est un roman incarné : à la fois choral et corporel. On y lit tour à tour la voix de douze narratrices qui se répondent et se complètent comme en écho. D’abord il y a Eve, encore bébé, curieuse du monde et attentive. Puis il y a Stéphanie, sa mère, qui veut organiser une fête pour l’occasion. Cette fête et la naissance du bébé seront le fil rouge des différents chapitres. Comme Stéphanie a eu seule cette enfant avec aide médicale, cet évènement ne fait pas l’unanimité dans son entourage. Peu à peu, grâce au chœur des voix qui s’entremêlent, c’est un portrait des femmes françaises qui se tisse.

Celle qui a participé à l’essai collectif Sororité (2021) fait partie des figures de proue de la réflexion féministe, notamment pour la question du corps. Elle a par exemple publié Le corps des femmes, la bataille de l’intime en 2018, Seins : en quête d’une libération en 2020 ou encore Un corps à soi courant 2021. Avec Pleine et douce, elle passe du côté de la fiction sans oublier son objet d’étude. De la naissance à la fin de la vie, chacune de ces douze femmes parlent de leur corps, de leurs seins, de leur sexualité, en somme de ce qu’elles (s’)incarnent.

« Il fut une époque où je pouvais rouler sur le côté et venir me plaquer contre la chaleur d’un dos aimé ; je plongeais dans les plis ronds du cou, respirais, aspirais l’air odorant qui s’y trouvait coincé, embrassais la peau jusqu’à ce qu’un geignement faussement contrarié me signale qu’on ne dormait plus. C’était alors le délice des peaux qui se mêlent, des yeux qui s’approuvent. » Pleine et douce

Corps et âmes
Pour ce premier roman, Camille Froidevaux-Metterie réussit une véritable radiographie de la société française contemporaine. Grâce aux douze personnages féminins, tous les âges et tous les points de vue sont abordés. Si le corps et ses problématiques sont au centre du récit, c’est surtout à la pensée des personnages que l’autrice nous donne accès. Il n’y a pas de véritable histoire, c’est plutôt dans le flux d’une pensée que l’on se coule à chaque nouveau chapitre. Un exercice de style réussi, qui passe de la voix de la grand-mère acariâtre, à celle de l’ado prépubère qui s’inquiète de sa future sexualité.

Pleine et douce prend le corps pour centre et déplie toutes ses variantes. Camille Froidevaux-Metterie aborde donc nécessairement des sujets durs, tels que le cancer, le viol ou l’anorexie, mais toujours avec finesse et pudeur. Le contexte de chaque vie (passé, présent et futur), est toujours présenté de manière implicite. Quelques pages suffisent donc pour bien se représenter chacune des femmes du livre. L’autrice montre subtilement que le corps est historique, comme elle le soutenait déjà dans l’un de ses essais :
« [Le corps] n’est donc pas seulement quelque chose pour moi, il est ce par quoi je donne du sens au monde et le fondement de ma relation aux autres. […] Le corps est historique ; la signification qu’il revêt pour moi et pour autrui – tout comme l’accès aux choses qu’il permet – dépendent des conditions sociales dans lesquelles il est vécu. » Le corps des femmes, la bataille de l’intime

En faisant du corps le sujet central de ce premier roman, Camille Froidevaux-Metterie ne dévie pas de son objet d’étude de philosophe et chercheuse. Ce sujet est pour elle l’occasion de s’attacher (paradoxalement) à des pensées et de réaliser un véritable exercice de style.