PAGEDESLIBRAIRES.FR, Sandrine Maliver-Perrin, mardi 3 juin 2014, et PAGE DES LIBRAIRES, juin-juillet 2014


« Océanie, terre de feu et de sang »

« Si d’aventure vous décidez d’entrer dans Le Livre des secrets, vous ne pourrez plus en sortir. Avec sa plume somptueuse, la Néo-Zélandaise Fiona Kidman n’a pas son pareil pour donner vie à de grandes héroïnes, comme dans Rescapée, paru en 2006 chez Sabine Wespieser. Elle s’en prend au conformisme et à l’hypocrisie des mœurs dans des romans puissants qui montrent sa fascination pour la culture aborigène et surtout pour l’histoire de la colonisation. Nous sommes ici à Waipu en 1953 : Maria vit depuis plus de cinquante ans dans une maison délabrée, avec pour seule compagnie ses souvenirs et le journal intime de sa grand-mère Isabella. Une grand-mère rejetée, traitée de sorcière par la communauté et par la mère de Maria, dont cette dernière aurait hérité des penchants pervers. Jadis, Maria vécut une folle passion avec un cantonnier et fut mise au ban de la société. Une société régie par des règles morales très strictes, édictées par son énigmatique fondateur, Norman McLeod. Isabella quitta l’Écosse en 1817 pour suivre L’Homme avec un groupe de ses disciples. Ce périple dura plus de trente-cinq ans et les mena en Nouvelle-Écosse et dans l’île de Capbreton, puis sur les côtes d’Amérique du Nord, pour s’achever au nord de la Nouvelle-Zélande. Le journal d’Isabella révèlera le vrai visage du cruel McLeod, sorte de gourou moderne, et la personnalité d’une femme indépendante et courageuse qui s’efforça de rester libre envers et contre tous. […]

Tout en déployant une intrigue passionnante, les deux auteures recréent à la perfection le décor, le contexte et les us des époques où se situe l’action. La confrontation des cultures blanche et aborigène, et la violence du colonialisme y sont dépeints par une écriture précise, sans complaisance ni jugement. Et c’est toute la construction de leur pays qui défile sous nos yeux, avec ses vérités et ses tragédies. Cette société stratifiée qui nous est montrée avec, de bas en haut, les indigènes locaux, les convicts et anciens convicts, et les hommes et femmes libres partis d’Europe en espérant trouver une vie meilleure. On réalise combien il fallait de courage aux immigrants qui débarquaient dans ces contrées lointaines, de gré ou de force, et combien leur vie devait être rude. Mais on prend aussi conscience de la tragédie que ce fut pour la population locale, massacrée, méprisée, spoliée de ses terres et de son identité au nom de l’argent, la religion, le respect des convenances… On ne peut refaire l’histoire mais on peut essayer de la comprendre et de la transmettre à travers la fiction : elle en dit parfois autant qu’un manuel, et avec bien plus de force. C’est cela le pouvoir de la littérature. »