REGARDS, propos recueillis par Hannah E., septembre 2015


« On est des individus historiques »

« Le Prix Rossel, Diane Meur, redonne vie à la famille Mendelssohn. Une vaste mission qui est le sujet même de ce roman, nous plongeant dans le chantier effréné de l’écriture. 

Hannah E. – Ce roman se base sur des faits historiques réels. Pourquoi êtes-vous « incapable d’écrire de la fiction à partir d’eux » ?
Diane Meur – Parce que j’ai besoin de voir naître et bourgeonner les choses. Le « roman des Mendelssohn » me semblait impossible à écrire, alors je relate – sous forme d’autofiction – l’incapacité à imaginer cette saga familiale. Le fil romanesque étant de raconter comment je me laisse déborder par un sujet qui m’échappe, tout en me le réappropriant. Ce « roman de l’impossibilité » naît aussi de toutes ces vies, dont on ne sait pas grand-chose. À partir d’une quête aux sources, parfois lacunaires, je tisse des toiles inventées. C’est d’autant plus passionnant que nous sommes des individus historiques, avec un passé collectif qui nous détermine.
H. E. – En quoi percevez-vous « une grande famille comme résumé de l’histoire humaine » ?
D. M. – Cela va de soi. Si l’on suit la descendance d’une personne, à travers les siècles, on aboutit à une population, voire à un morceau d’humanité. La diversité des branches et des parcours, d’une même famille, s’avère saisissante. Certains connaissent la gloire, d’autres demeurent méconnus ou pauvres. L’Histoire traverse chacun de nous, mais comment s’éparpille-t-elle sur terre ? Lorsque j’ai établi l’immense carte généalogique des Mendelssohn, c’était à la fois réjouissant et vertigineux. J’aurais pu prendre n’importe quelle famille du XVIIIe siècle, mais Moses Mendelssohn était connu en Europe. On a accès à ses archives, ses publications et sa correspondance. Dire que cet homme étonnant, philosophe des Lumières, était le grand-père de Felix, célèbre compositeur en son temps. Les mythes familiaux et l’histoire des filiations m’intriguent, parce qu’on peut y voir une métaphore du monde, des religions ou du renouvellement des générations. […]
H. E. – S’il est impossible de « se défaire de son héritage familial », que reste-t-il de la pensée de Moses Mendelssohn ?
D. M. –
Cet autodidacte atypique est sorti de son ghetto avec l’idée d’élucider les textes sacrés. On l’a d’ailleurs surnommé le « Luther juif », tant il voulait les renouveler. Il combinait la connaissance des études talmudiques et la philosophie des Lumières. Même si on ne peut pas le qualifier de révolutionnaire, il prônait la tolérance, la liberté de culte et d’opinion au sein d’une société très oppressive. Mon roman parle des traces alors, bien qu’il ne subsiste plus rien des corps de mes héros, elles reprennent vie au cœur de ces pages. »