SERVICE LITTÉRAIRE, Jacqueline Demornex, octobre 2014


« Les muscles et la Richez du cerf »

« Un conte cruel où la plume d’un ministre reprend tout à coup du poil de la bête.

Elle est jolie, Marjorie, et tout lui réussit. Devenue la plume d’un ministre, elle avance sans états d’âme dans une carrière encombrée d’ambitieux, cyniques comme elle. Qu’on dise de moi ce qu’on voudra. Ça me fait exister. Plus on me saccage, plus je suis méchante et plus on me respecte. Jusqu’au jour où… appelée d’urgence auprès de son père mourant, elle prend sa puissante voiture et fonce sur l’autoroute, se trompe d’embranchement, ne ralentit pas, et là, choc terrible. Elle vient de heurter un grand animal, un cerf, qui va mourir sous ses yeux, presque entre ses bras. Couché sur le flanc, il râle doucement. Quand elle réalise que c’est elle qui l’a tué, elle se redresse, recule. Je me fais horreur et ne peux pourtant pas me quitter moi-même. Mais c’est ce qui va lui arriver. Au bureau, on ne la reconnaît plus. La guerrière a perdu son armure. Tout l’agresse : la ville, le bruit, le bitume, les odeurs. Les odeurs surtout. Même l’eau sent le chlore. Ses collègues puent. Et son passé ne sent pas bon non plus. Elle n’a plus qu’une envie : fuir et retrouver la forêt, les sous-bois, la nuit, la pluie, et peut être la femelle du cerf, solitaire désormais. Elle ne craint pas sa colère, mais l’espère, et ne sera pas déçue. Le livre de Marion Richez n’a rien d’un plaidoyer écolo pour un retour à la nature. Son écriture au couteau en fait un conte cruel. Le sang y a sa place. Quand elle rompt avec un homme qu’elle méprise, elle est violente, et son adieu laisse des traces, et même des points de suture. Comme fil rouge (rougi ?), les barbelés ont un rôle tout au long du livre. Les barbelés des champs et ceux des camps, révélés trop tôt, quand elle n’avait que quatre ans. L’écorchée vive qu’elle est devenue réserve sa tendresse à l’innocence, aux enfants, aux vieilles dames généreuses, aux animaux, et au poète qu’elle rencontre plus tard, dans un endroit où la folie furieuse côtoie la folie douce. De cette clinique psychiatrique, où sa mère l’a fait enfermer, elle ressortira libre, calme, tranquillisée. Mais seule. Pas sûr qu’il s’agisse d’un  happy end. Ce premier roman étonne par sa force, et une empathie sans mièvrerie, envers les muscles du cerf. La scène de la mort a la beauté d’un sacrifice antique. Dans le Parc aux Cerfs de l’Au-delà, retrouvera-t-il Actéon, ce mortel changé en cerf pour avoir surpris Diane, au bain, nue ? Ou le cerf blanc de Yeats qui hante Le vent parmi les roseaux ? (Do you not hear me calling, with deer with no horn?) Après tout, ce sont ses frères en métamorphose. »