SUD-OUEST DIMANCHE, Olivier Mony, dimanche 7 février 2016


« Paul et Marjorie »

« […] Il y a parfois des livres qui ne sont pas ce qu’ils auraient l’air d’être, ou pas vraiment, dont le chant s’insinue en douce chez leur lecteur et dessine comme un sanglot, un remords, un souvenir.
Voilà donc De ce pas, premier roman de Caroline Broué. Son héroïne, Marjorie, est danseuse (danseuse étoile même, à l’Opéra de Paris), ce qui a du sens tant le livre tout entier ne sera affaire que de grâce et d’équilibre fragile. Du moins le fut-elle, contrainte par son corps de devoir laisser là la scène et les ballets. Avant que de se réinventer ainsi, Marjorie fut Tin, petite fille cambodgienne chassée de son pays, avec sa mère, dès les premiers jours de l’horreur khmère rouge qui emporta son père. Ici, elle apprit peu à peu à se défaire de là-bas, perdue dans un rêve égotiste d’enfant perdue. Un jour, sur les quais du métro parisien, elle a rencontré Paul, un photographe. Ce fils de famille (réglementairement dysfonctionnelle…) ardéchoise et protestante vient du même pays qu’elle : le silence. Ces deux-là, qui étaient faits pour se rencontrer, destinés à se garder, s’aimeront bien sûr, auront un enfant et peut-être sont-ils en train de se perdre faute d’avoir su nourrir leur histoire avec celle de chacun d’eux. Peut-être aussi simplement ne peut-on vraiment grandir et puis vieillir ensemble.
De ce classique « ni avec toi ni sans toi », Caroline Broué, productrice à France Culture dans le civil, fait une symphonie impressionniste des départs. Chez elle, les portes ne claquent pas, elles se referment doucement, et c’est peut-être plus poignant encore. Là où elle emporte vraiment l’adhésion du lecteur, c’est dans sa conduite narrative, infiniment élégante.
Il y a dans les égarements de cette Marjorie aussi douée qu’adorable quelque chose de l’ordre du roman noir sentimental. On pouvait craindre un méli-mélo pétri de bonne conscience, nous voilà avec un conte cruel à la Louise de Vilmorin. Ce n’est pas plus mal. »