TÉLÉRAMA, Christine Ferniot, mercredi 2 décembre 2020


Un récit court et sensible, qui évoque des vies étouffées par la religion dans une ville modeste d’Irlande, et sonne remarquablement juste.

 

« Bill Furlong est de nature inquiète. Dans la petite ville de New Ross, en ­Irlande, ce vendeur de charbon voit bien que le chômage brise les familles. Pourtant, il n’a pas de raison de s’inquiéter. Sa femme, Eileen, réussit à mettre trois sous de côté chaque mois, et leurs cinq filles ne manquent de rien. Mais Furlong est rongé par la peur de tout perdre, sachant, depuis sa naissance, que la vie peut basculer du mauvais côté. Eileen a les pieds mieux ancrés dans la terre. C’est une bonne catholique qui connaît le prix des choses et sait séparer le bien du mal. Le couple s’entend plutôt bien, même si Furlong est du genre à donner sa monnaie aux plus pauvres, quitte à oublier la quête à l’église. Ce sont ces « petites choses » qui finissent par rendre la vie plus compliquée.

Habituellement, Claire Keegan accompagne les femmes irlandaises dans leur vie quotidienne, les adolescentes dans leur désir de liberté. Avec ce court récit, elle suit les cheminements d’un homme élevé par sa mère, père de cinq filles et bouleversant d’humanité. À travers ses yeux généreux, la romancière décrit des vies rétrécies par la religion, des destins de femmes et d’hommes qui ne rechignent jamais au travail. Les saisons filent, Noël approche, les corneilles sont bruyantes, et Claire Keegan nous murmure que, derrière la banalité des jours, il y a autre chose à faire que fermer les yeux sur ce qui se passe ailleurs. Car, de l’autre côté de la rivière, le couvent, avec son jardin bien ordonné et sa blanchisserie irréprochable, cache de jeunes mères célibataires, esclaves des religieuses. Nous sommes en 1985, et la dernière entreprise de ce type ne fermera qu’en 1996. En cent pages, Claire Keegan murmure « ce genre de petites choses » avec une justesse admirable, une écriture sans une once de gras. En n’élevant jamais la voix, en restant aux côtés de ses personnages — pas au-dessus —, elle laisse au lecteur bouleversé le soin d’accompagner Furlong sur le chemin du couvent. »