TÉLÉRAMA, Christine Ferniot, mercredi 8 septembre 2021


« “Je ne peux pas respirer.” Ce cri étranglé, personne ne l’a oublié. Il a été prononcé par Eric Garner, à New York, en 2014, puis par George Floyd, à Minneapolis, en 2020. Tous deux étaient noirs, tous deux sont morts par asphyxie. Inspiré par ces bavures policières, Louis-Philippe Dalembert a transposé à Milwaukee — une ville où il a été enseignant — l’histoire d’Emmett, 46 ans, victime de racisme, de violence, d’injustice. Tout commence devant une supérette, dont le gérant appelle un jour le 911, lorsqu’il soupçonne un jeune homme de l’avoir payé avec un faux billet. Il regrettera toute sa vie cet appel. Dalembert remonte le cours du temps, revenant à l’enfance d’Emmett, gentil garçon élevé par sa mère très pieuse. Il fait aussi parler son institutrice, ses copains, son ancien coach constatant que le gamin est doué pour le football américain. Emmett aurait dû mener une vie d’étudiant heureux, de sportif professionnel brillant, mais un jour tout se détraque : une mauvaise blessure, des études effilochées, une fiancée qui s’éloigne. Emmett connaît alors le temps des petits boulots, jusqu’à ce soir-là, devant l’épicerie…

En choisissant la fiction, en narrant la vie presque ordinaire d’un homme qui n’a pas eu de chance, l’écrivain, né à Haïti, ne cherche pas à faire pleurer le lecteur sur le sort d’un martyr. L’auteur de Mur Méditerranée multiplie les points de vue, dans ce roman choral où la musique se niche dans toutes les pages. On entend le blues de Robert Johnson ou les accents de Ray Charles, dans cette œuvre pleine de vitalité qui ne refuse pas un peu d’humour dans ce monde de fous. Milwaukee Blues est un texte contemporain qui montre à quel point le monde de la ségrégation et les faux rêves de l’Amérique n’ont pas changé. T’exiges rien, tu revendiques rien. Tu prends l’habitude d’être transparent… Quoi que tu fasses, tu auras tort, explique la mère d’Emmett à son enfant lorsqu’ils se rendent dans un quartier blanc de la ville. La mort d’Emmett, d’Eric ou de George y changera-t-elle quelque chose ? Louis-Philippe Dalembert veut y croire, il ajoute sa pierre à l’édifice. »