TÉLÉRAMA, Marine Landrot, mercredi 14 décembre 2022


Des chutes du tissu de son passé, lambeaux chamarrés de la Géorgie familiale ou pelotes en fuite des amitiés qui se délitent, Kéthévane Davrichewy a toujours fabriqué de beaux patchworks romanesques. L’Autre Joseph, La Mer noireLes Séparées… ses livres sont des couvertures de survie savamment cousues, dont les techniques de confection continuent de garder une part de secret. Comment cette autrice parvient-elle à un rendu si doux, avec une écriture aux bords si tranchants ?

Nous nous aimions, dit le titre de son nouveau roman. Tout est dans le passé de ce verbe, qui constate un temps révolu, mais refuse d’acter l’irrémédiable. Le livre observe les agissements du désamour, qui partout creuse son sillon, dans les fratries, entre les amies, divisant femme et mari, mère et fille. Kéthévane Davrichewy a l’art de sonder les arrière-pensées silencieuses, celles qui nourrissent des rêves de liberté, mais aussi celles qui préservent l’ultime dignité face aux humiliations, comme dans son magnifique chapitre d’ouverture où deux fillettes en transit à l’aéroport de Moscou subissent le sadisme de douanières envieuses de leur exil en France. Ces deux enfants vont grandir, par à-coups, par accrocs, tout en maintenant un semblant de fluidité. Le roman célèbre leur combat inconscient pour faire tomber une lettre dans le titre, et que le « Nous nous aimons » triomphe.