TÉLÉRAMA spécial Marathon des Mots (édition Toulouse), Christine Ferniot, mercredi 2 avril 2014


« La prisonnière »

« La romancière vietnamienne a connu toutes sortes de peurs et plusieurs vies, tantôt héroïne rouge, tantôt paria. Et si elle vit aujourd’hui à Paris, elle s’affirme toujours comme une combattante énergique et solitaire, une écrivaine engagée, une résistante. […]

Puis il y a l’écriture qui la porte et forme comme une double vie. Mon existence est une commode avec deux tiroirs. Dans l’un se trouvent les tracts politiques, les essais, lutter pour mon pays, trouver des soutiens, sans jamais pouvoir échanger avec mes compatriotes. Dans l’autre, il y a l’écriture de mes romans. Je bâtis alors des histoires qui sont enfermées dans mon âme comme une hantise, une obsession. C’est un moment de quasi-inconscience. Je parle des plaisirs écartés, étouffés, des carcans de la morale, et de la liberté individuelle si souvent bafouée. […]

Aujourd’hui, son dixième livre vient de paraître en français. Les Collines d’eucalyptus sont une nouvelle variation sur le thème du retour. Cette fois, c’est celui de l’enfant prodigue. En fait, ce livre répond au précédent, paru en 2011, Sanctuaire du cœur. Partant d’une histoire vraie, la disparition du jeune et charmant Thanh, elle imagine deux destins possibles. Je fournis les hypothèses les plus vraisemblables pouvant expliquer la fugue de mon petit cousin. Dans Sanctuaire du cœur, Thanh se retrouvait gigolo dans un bordel pour clientèle féminine ; dans Les Collines d’eucalyptus, on le retrouve condamné aux travaux forcés pour meutre. À travers les souvenirs de Thanh derrière les barreaux, Duong décrit le quotidien des homosexuels vietnamiens et l’existence sans fin dans l’enfer de la prison. La romancière en profite pour évoquer la fin des années 1980 au Vietnam, les silences et les révoltes d’hommes et de femmes dominés par la passion, la peur, le désir ou les circonstances. Elle suggère également les parfumes de champs d’ananas, la subtilité d’un thé au lait, la beauté d’un paysage et les larmes d’un amour perdu.

En écrivant ces deux livres, comme deux trajectoires parmi d’autres, Duong Thu Huong a tenu une promesse faite à sa famille. Si elle n’a pas su retrouver pour de vrai la trace de Thanh, elle lui a offert deux vies littéraires. Cette fois, j’ai payé ma dette envers eux. J’en ai beaucoup d’autres à l’égard de mon peuple. Pour eux, je continuerai de lutter jusqu’à mon dernier souffle. »