TÉLÉRAMA, TTT, Marine Landrot, samedi 19 août 2017


« La mue inéluctable d’un père de famille qui a choisi d’être femme. La mue, aussi, de son entourage… Une histoire forte servie par une écriture limpide.

Pas de fard ni de froufrous, pas d’apprêts, ni d’artifices, dans la langue de Léonor de Récondo. Le sujet de son roman s’y prêtait, pourtant. Un père de famille devient femme. À l’insu de ses proches, pour commencer, puis aux yeux de tous, pour l’éternité. Quoi de mieux qu’une écriture limpide pour parler de transparence ? Quoi de mieux que des mots simples pour dire la sensation de l’évidence ? Car Laurent vit son changement de sexe comme une mue naturelle, une évolution inéluctable, et la clandestinité lui sied mal. Non qu’il prise la provocation, ni ne cherche l’épate dérangeante. Il aspire seulement à ce que sa femme, ses enfants, ses collègues, sa boulangère… fassent comme si de rien n’était. Pour qu’il puisse être celle qu’il a l’impression d’avoir toujours été.

Le livre marche sur le fil tenu de cette discrète ténacité, et de cet irrépressible besoin de tolérance. Étape par étape, nous sont dévoilées les avancées de sa transformation, qui devient contagieuse : à son contact, chacun change aussi, et révèle ce qu’il a de plus enfoui. La colère pour certains, la compassion pour d’autres. Et tant d’infimes mouvements d’âme que Léonor excelle à saisir dans leur fragilité. Chez elle, tout part toujours du corps, substance délicate qu’elle travaille dans une plénitude respectueuse. Comme elle l’avait fait avec la pierre sculptée de Michel-Ange, dans Pietra viva (2013), puis avec le linge froissé par une femme de chambre enceinte de son patron, dans Amours (2015), elle écoute le chant des matières, toutes douées de langage, révélatrices des désirs humains les plus profonds. La romancière a l’art de traquer le calme intérieur des êtres, même dans les plus grandes tempêtes. Elle s’intéresse à l’endurance, cette force qui mêle la confiance et la rage. Après avoir placé deux romans sous les feux du passé – le soleil aveuglant de la Renaissance et la lumière blanche de 1900 –, elle s’en remet ici à la clarté contemporaine, qu’elle veut exploiter dans ce qu’elle a de meilleur. Celle-là même que le cinéaste Xavier Dolan tentait de saisir dans son film Lawrence Anyways, où Melvil Poupaud incarnait un prof de lycée travesti. Une lumière directe, à la fois crue et caressante, où chacun a le droit de se réchauffer, quelle que soit son identité. »