UNTITLED MAGAZINE, Lucie Jubin, lundi 27 février 2023


Après Les lanceurs de feu, le deuxième roman de Jan Carson est traduit en français par Dominique Goy-Blanquet sous le titre Les Ravissements. C’est l’histoire originale et émouvante d’une jeune fille qui grandit dans une petite ville du nord de l’Irlande dont la foi protestante est chamboulée par une épidémie qui frappe les élèves de sa classe. 

C’était l’été 1993 en Irlande du Nord. La jeune Hannah, 11 ans, est allez soulagée de ne plus avoir à aller à l’école. Dans sa petite classe de onze élèves, elle a eu du mal à trouver sa place. Il faut dire que les autres enfants vont au cinéma, sont invités à des goûters d’anniversaire et écoutent de la musique « païenne », autant de choses que les parents de Hannah, des fondamentalistes protestants, lui interdisent de faire. C’est donc un été tranquille et peu excitant qui s’annonce pour Hannah, jusqu’au moment où le fantôme d’un de ses camarades de classe lui apparaît en pleine nuit, alors qu’elle est allée chercher un verre d’eau à la salle de bain. Il ne lui dit rien, mais Hannah comprend tout de suite qu’en réalité, il est mort. Le lendemain, ses parents lui confirment ce qu’elle avait pressenti. Les funérailles ne sont pas encore passées qu’une autre élève de la classe de Hannah semble atteinte de la même maladie, puis encore deux autres, des soeurs jumelles …

Quatre décès sur une classe de onze élèves : les parents s’inquiètent. Quel est ce mal qui touche les enfants de cette classe en particulier ? Comment l’ont-ils attrapé ? Est-ce contagieux ? Hannah voit bien l’inquiétude dans les regards que lui lancent ses parents. Elle entend tous les encouragements teintés de condoléances prématurées qu’ils reçoivent à la sortie de l’église. Va-t-elle mourir elle aussi ? Devrait-elle avoir peur ? Alors que la liste des enfants qui meurent de cette étrange maladie s’allonge, Hannah a de plus en plus de mal à garder son sang froid. Peut-elle parler à ses parents des visites des fantômes de ses camarades ?

Le réalisme magique

Quand ils rendent visite à Hannah, les fantômes de ses camarades lui disent tous la même chose : mourir, c’est comme s’ils restaient dans le même village qu’on connaît, mais tout est légèrement étrange. Les arbres, les lampadaires électriques et les magasins sont bien présents, mais tout semble avoir une nuance un peu différente. Tout cloche. En littérature, le registre qui consiste à créer une atmosphère normale où seuls quelques éléments changent s’appelle le réalisme magique. Les Ravissements en est une très belle illustration.

L’intérêt du réalisme magique n’est pas simplement d’apporter des éléments surréels gratuitement. Dans Les Ravissements, on s’aperçoit que ce registre littéraire sert à mettre en valeur d’autres éléments cruciaux du récit, en particulier la place de la religion dans la vie d’une petit fille de onze ans. L’épidémie qui touche les camarades de sa classe met sa foi à rude épreuve, et celle de sa mère aussi, en qui elle trouve une alliée.  Au téléphone avec sa maman, le papa de Hannah lui demande de rassurer leur fille :

« Et je fais ça comment au juste, John ? Tous ses petits camarades sont en train de mourir. Je ne peux pas lui promettre que tout ira bien.
– Dis-lui qu’elle est entre les mains du Seigneur, Sandra. Dis-lui que c’est toujours Lui qui est aux commandes.
La mère d’Hannah raccroche. En vingt-et-un ans de mariage, elle n’a jamais rien fait d’aussi audacieux. »

Que faire quand la religion n’est pas une source de réconfort suffisante dans des situations difficiles ? Par son choix d’Héroïne, Jan Carson se situe à cheval entre le temps de l’enfance obéissante et soumise à l’autorité paternelle et religieuse, et celui d’une pré-adolescence où des questions de plus en plus importantes émergent.

Les Ravissements est un beau roman qui offre une plongée dans la communauté d’un village nord-irlandais. L’écriture de Jan Carson fait entendre les accents et les intonations si riches de la région. Elle parvient à allier la vie tranquille et isolée de ce village avec les éléments d’un « whodunit » (littéralement « qui l’a fait ? » – enquête pour trouver le meurtrier) plein de tension et de suspens. Grâce aux éditions Sabine Wespieser, Jan Carson est de plus en plus présente sur la scène littéraire française.

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