WWW.LACAUSELITTERAIRE.FR, Léon-Marc Levy, jeudi 29 janvier 2015


« Se plonger dans la lecture de ce roman constitue un moment littéraire intense mais aussi une sorte de voyage dans le temps. Léonor de Récondo nous y avait habitués avec son somptueux Pietra Viva qui nous faisait marcher dans les pas de Michel-Ange s’apprêtant à créer sa Pietà. Elle possède un talent rare et précieux pour enchâsser le passé dans notre temps présent, pour faire revivre sous nos yeux de lecteurs des univers disparus, des êtres d’autrefois dans leur réalité vivante, vibrante, incarnée.

C’est la bourgeoisie cossue et – en apparence – pudibonde qui fait cadre à ce roman. Une bourgeoisie provinciale, infatuée, fermée sur elle-même. L’héroïne, Victoire de Boisvaillant, ne pourra, dans cet article ni dans un autre peut-on supposer, échapper à l’évocation d’Emma Bovary. Aussi faisons-le tout de suite, elles sont en effet de proches cousines littéraires. Avec finesse et, probablement, ironie, Léonor de Récondo se débarrasse du rapprochement que feront ses lecteurs dès le début du roman :

Les portraits de femmes sont saisissants. Victoire, épouse du maître des lieux (Anselme de Boisvaillant, notaire, bien sûr !) mais aussi, Céleste, jeune domestique qui ne sert pas qu’à entretenir la maison. Les amours ancillaires sont alors très en vogue et Léonor de Récondo s’en saisit pour tenir un propos d’une violence sourde sur la condition des femmes du premier XXe siècle. Une condition que l’on distingue à peine de l’esclavage, tant la domestique appartient aux maîtres – dans tous les sens du terme.

Victoire s’ennuie, comme il convient à une bourgeoise de province. Elle s’ennuie d’autant plus que l’ennui – en tant que dimension – s’est installé dans sa vie amoureuse. Routine conjugale ? Pire. Dégoût caché, répugnance sexuelle aggravée par l’impossibilité qui va s’avérer d’avoir un enfant.

Figure du Destin sans doute que cette infécondité. La femme sous la plume de Récondo devient ainsi un syntagme figé – étrangement semblable en fin de compte à ses domestiques (nous avons évoqué Céleste) – mais d’être, elle, délaissée. Et puis insoumise enfin quand l’infidélité du mari s’apprend. Le roman connaît sa rupture, totale et irrévocable : la révolte des femmes sera terrible, emportera avec elle l’ordre apparemment établi, dévoilant dans sa violence le désordre tapi sous l’apparence des conventions, balayant les codes les plus sacrés, bousculant la bienséance sexuelle. Laissant enfin chacun(e) à sa détresse radicale

Amours est un roman délicieusement suranné, tant dans son propos que dans son écriture. Léonor de Récondo – musicienne baroque par ailleurs – fait revivre le passé pour notre plus grand plaisir. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les thèmes en basse continue (Léonor de Recondo est musicienne on vous l’a dit !) sont d’une étonnante modernité. »