ZIBELINE, Marie-Jo Dhô, jeudi 21 avril 2016


« Chant profond »

« Serge Mestre, comme les « anatifes » ou autres « cirripèdes » dégustés dans son roman qui ont pour particularité de se développer accrochés à leur support, étoffe inlassablement de l’intérieur sa proximité avec les événements de la guerre d’Espagne depuis ses précédents romans (La Lumière et l’Oubli ou Les Plages du silence) ; ce fils de républicain réfugié dans le Sud-Ouest aime les mots peu usités, en abuse parfois – au bonheur de « l’immarcescible » ! – et c’est sans doute ce qui intrigue le plus dans ce récit des sept dernières années de quatre hommes assassinés par les phalangistes le 18 août 1936 au lieu-dit Ainadamar. L’un d’eux est Federico Garcia Lorca et il constitue forcément la clé de voûte d’un édifice solidement bâti sur de courts chapitres, denses, innervés de l’œuvre du poète dont l’auteur a retraduit des extraits ; le roman est fait de divers moments à « cloche-pied sur la chronologie » vus au travers d’une loupe, de détails en gros plans qui campent un ensemble (la mécanique d’un pédalier, les articulations des doigts de la main dans un geste significatif…) entre BD et macrophotographie ; de discours imbriqués avec l’hétérogénéité des langages, inclus dans une narration explicitement et malicieusement commentée par un narrateur omniprésent (« ça rappelle quelque chose n’est-ce pas ? » « on en a parlé quelques pages en amont ») et d’une syntaxe fantasque qui perd parfois en route son sujet ou le fait revivre sous un autre thème. […] Le plus réussi est sûrement l’évocation du rapport de Garcia Lorca à la musique aussi bien à Grenade qu’à New York et à Cuba, et dans ces pages-là la prose libre et bondissante de Serge Mestre prend tout son sens. »