LE TEMPS, Eléonore Sulser, samedi 28 février 2015
« En écho à Patrick Modiano, la romancière part en quête de signes, de solutions fantomatiques aux énigmes du passé. Mais l’élan qui la porte est un hymne à la vie. […] »
« En écho à Patrick Modiano, la romancière part en quête de signes, de solutions fantomatiques aux énigmes du passé. Mais l’élan qui la porte est un hymne à la vie. […] »
« Un homme lisant Scènes de la vie de bohème assis sous un réverbère va jeter la narratrice sur les chemins du passé. Avec son écriture sensitive, d’une fidélité indéfectible à ce qui a été, Michèle Lesbre retourne vers son enfance et tente de réveiller, cinquante après sa mort, l’image d’un père énigmatique. […] »
« À l’instar d’un Modiano, qu’elle admire, Michèle Lesbre reprend sans cesse le même livre, fouille la même mémoire, inlassablement. […] »
« Sentiers de mémoire »
« On ne sait quel sens donner à certains souvenirs tant leur violence, parfois, marque le temps. C’est une réflexion de l’héroïne et narratrice, dans les dernières pages de Chemins, une réflexion qu’elle se fait dans une cour d’école silencieuse, non loin des bords de Loire, en été.
La violence dont il est question surgit dès la première page du roman avec l’arrivée d’un homme dans la maison qu’habitent la narratrice et sa mère. […] Il est l’envahisseur, l’étranger. Dans la rue passent les vrais envahisseurs. On est en 1941, l’enfant a trois ans ; elle ne comprend pas que sa mère la retienne quand défilent les soldats allemands. La vie des deux femmes est surtout perturbée par ce retour du mari et père. […] Devenue adulte, la narratrice cherche à savoir qui il est. Elle dispose de peu d’indices, hormis ses souvenirs et la présence d’un roman, très important pour lui : Scènes de la vie de bohème. L’image de ce père lui revient alors qu’elle est assise à la terrasse d’un café et que, non loin d’elle, un homme dont l’allure et le comportement lui semblent étrangement familiers lit, à l’écart de tous, ce roman d’Henry Murger. Le voyage commence.
Voyage dans l’espace d’abord. Des amis prêtent à la narratrice une maison. Ces amis faisaient partie de la petite bande d’idéalistes qui rêvaient de changer le monde et qui se retrouvaient à Coutry. […] Ce couple a abandonné la maison de Coutry pour une autre, un peu plus loin. L’ héroïne hésite ; elle est embarrassée par cette offre et tarde à rejoindre ce nouveau lieu. Le titre du livre, Chemins, prend alors son sens. Ce pluriel évoque des sentiers, des bifurcations et des digressions, des haltes, et donc des rencontres. On se laisse porter ou emporter, parfois en marchant, parfois en prenant un petit train qui s’arrête dans toutes les gares d’une province silencieuse, quelquefois en longeant un canal et ses péniches. Un hôtelier galant, un pêcheur un peu mythomane, un couple de mariniers qui semble sorti de L’Atalante de Vigo (ou du Baron de l’écluse avec Gabin), un chien, les grands-parents de la narratrice, Mathilde et Léon, surgis de sa mémoire, voilà quelques protagonistes de ce roman qui chemine non loin du fleuve, dans le centre de la France.
En contrepoint et en écho, le père et son opacité, sa dureté, le père face à la mère, avec l’enfant comme témoin. […] Rarement dans un roman de Michèle Lesbre on a senti pareille souffrance. Jusque dans la sécheresse des phrases en italique qui racontent l’histoire morcelée du père.
Les errances de la narratrice n’en sont que plus douces. Comme si le présent qu’elle raconte, les bords de la rivière, les chambres d’hôtel au papier défraîchi, la présence de Palmas, le chien qui l’accompagne soudain, apaisaient la douleur de cette enfance. […]
Dans les textes de Michèle Lesbre, des livres circulent ou servent de mots de passe. Celui de Murger en fait partie, mais aussi, tandis qu’elle est invitée dans la péniche qui glisse sur le canal, un Bassani. Plus tard, la narratrice apprend la mort de Jean-Claude Pirotte. Il est minuit depuis toujours est le titre d’un de ses derniers récits. Le poète aurait pu écrire que les rêves sont aussi ce que nous sommes, même si cela ne se voit pas. C’est la narratrice qui le dit à son ami pêcheur un peu mythomane. Chemins confond passé et présent en une prose poétique ressemblant à l’eau d’une rivière. Les repères s’effacent. Appelons cela le charme. »
« Se retourner sur son passé est un thème récurrent dans l’œuvre de Michèle Lesbre. Une fois encore, la narratrice de ce très beau roman revient sur les traces de son enfance. Une rencontre fortuite avec un inconnu lui donne l’envie de lire Scènes de la vie de bohème, d’Henry Murger, un ouvrage que son père aimait. […] »
« […] Sous la patine classique du roman de mœurs (difficile de ne pas penser à Flaubert), Amours conjugue au présent les diverses formes de violences faites aux femmes, du moyenâgeux droit de cuissage à l’interdiction du plaisir pour le corps féminin. […] »
« Léonor de Récondo signe avec Amours un roman singulier qui commence comme une farce boulevardière sur fond d’adultère et se développe en fable humaine, contemporaine et prenante. […] »
« Dès les premières lignes, le récit vous happe, vous révolte, vous accroche. Pourtant l’univers est feutré : une maison bourgeoise du Cher, en 1908. Un couple marié depuis cinq ans y coule des jours paisibles. […] »
« La très talentueuse Marie Richeux accueille un héros grec dans son salon : une épopée en appartement. On est dans l’appartement de Marie qui raconte : Achille est dans le salon et Thétis, sa mère, dans la salle de bain. »
« Les hommes et les femmes qui passent dans les livres de Michèle Lesbre sont comme de grands échassiers solitaires qui campent en lisière du carnaval social. Son œuvre est pleine de personnages saisis dans un entre-deux qui les révèle à eux-mêmes. […] »