ACTUALITTÉ, Nicolas Gary, jeudi 15 février 2024


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Jean Mattern, vers les rives du Danube…

Introspectif, Jean Mattern ? Les eaux du Danube, tumultueuses comme on le sait, invitent bien à plonger dans une existence terne et monotone. Celle d’un pharmacien – mais pas de généralité sur une profession… D’autant que ce dernier souffre d’insomnie et développe une obsession sur ses origines, son passé, son identité…

Clément Bontemps est issu d’une respectable famille de Lyon : mari impeccable, il s’est installé à Sète avec Madeleine, sa femme depuis vingt ans. Prêt à tout pour s’épargner la moindre sensation forte, il se fait un devoir de respecter les horaires d’ouverture et de fermeture de son officine. Une existence réglée comme du papier à musique — et c’est peu dire que Jean Mattern apprécie les partitions — il a tout de même son brin de folie : une relation très intellectuelle avec le professeur de philosophie de son fils Matias, Georges Almassy.

Au détour d’une conversation, ce quotidien pharmaceutique mesuré au gramme près basculera : toute la stabilité que Clément avait orchestrée finit en concert de Boulez. Cacophonie et désordre, façon seconde école de Vienne. Et pas vraiment pour le plaisir du sérialisme.

De fait, l’enseignant déclenche une prise de conscience chez Clément : quelle est la véritable place qu’occupe son fils, dans cette vie de métronome ? Et, corollaire, qui est-il, lui, en tant qu’époux, en tant que père ? Se retrouvant seul durant le mois de juillet, il est forcé de confronter les non-dits de sa vie : un mariage de raison, les origines hongroises de sa mère, et plus encore.

Chance : Almassy partage avec Bontemps des racines hongroises. De fait, ils seraient cousins, ou parents éloignés même. La mère de Clément, Ilona Ferenczi, avait épousé un certain József Almassy… Et voici notre pharmacien devenu aventurier, entreprenant un périple qui le mènera des rivages de la Méditerranée aux eaux du Danube. Il rencontrera aussi une touriste écossaise qui, par ses récits sur son île natale, Bara, éveille en lui un désir de redécouverte de soi et une curiosité pour ses propres origines et celles de sa mère hongroise.

Tout un parcours introspectif le mène à réévaluer sa relation avec sa famille, son travail, et à chercher un sens plus profond à sa vie.

Captivant comme un fleuve qui s’écoule, Les eaux du Danube parle de transmission et d’héritage familial. Jean Mattern, avec brio, exploite ses thèmes de prédilection pour révéler comment les vérités cachées façonnent la littérature, naviguant à travers les secrets de famille dans une narration rythmée et poignante.

Le rythme mesuré fait écho (comme la nymphe, encore une créature d’eau – ou la Loreleï, dans cette région de l’Europe) à la pondération que Clément Bontemps (bon tempo, même : quelque part entre lento et adagietto…) manifeste. La construction du récit, centrée sur sa psychologie, révèle des désirs inavoués, des regrets, et des aspirations profondes, le tout avec pour décor la beauté mélancolique des paysages du Danube. Car toute la trame narrative se déploie autour de cette quête d’authenticité et de sa confrontation avec des vérités personnelles et historiques, le poussant à réévaluer sa vie, ses choix, et ses relations avec les autres.

Une écriture épurée, faussement calme, qui soudainement bascule avec ce catalyseur que devient la touriste écossaise. Tempérance, moderato, jusque dans l’économie d’adjectifs : un roman de l’intime, qui ne se dévoile que confronté au monde extérieur. Délicieuse leçon.