BLOG TÊTE DE LECTURE, jeudi 17 février 2016


« Dale, historien, et sa femme Hoa, céramiste, partent en voyage dans le nord du Mexique sur les traces d’Ambrose Bierce. L’écrivain et journaliste américain disparu sans laisser de traces un siècle plus tôt alimente la légende : où et comment est-il mort ? Y a-t-il encore moyen de trouver traces de son passage ici ou là ? Pour nourrir sa recherche, Dale se rend sur place (en plein été) et Hoa décide de l’accompagner.

Il est cependant presque moins question de l’écrivain américain que de Declan, le fils de Dale et Hoa, disparu lui aussi. Comme on en sait peu sur Bierce, on en saura peu sur ce fils, adolescent turbulent, violent, interné. […] Absent, douloureusement absent et de ce fait très présent entre ses parents qui n’osent parler de lui. Leur fils est comme un reproche entre eux. Ils se laissent donc avaler par le désert, écrasé de chaleur.

La Trace s’ouvre sur une scène violente : un homme en voit débarquer un autre chez lui alors qu’il est aux toilettes. Pas le temps de se renculotter : il se planque comme il peut sous le lavabo. Quelques pages plus loin, le tueur surgi du désert est en train de décoller la peau du crâne de sa victime pour l’enrouler autour d’un ballon de foot. Si la première page a pu paraître drôle, ce sera pour le lecteur la seule occasion de sourire. Car le tueur qui sillonne la même région que Dale et Hoa est un trafiquant de drogue qui recrute parmi les populations locales, même les plus jeunes, offrant des ballons de foot. Sinistre.

On s’étonne que Dale et Hoa s’aventurent tout tranquillement le long d’une frontière réputée comme une des plus dangereuses du monde. Ils sont de fait tellement enfermés dans leur douleur que le reste n’est que décor. Jusque la panne de voiture en plein désert qui les contraint à marcher.

[…] Les apparitions du tueur ne sont que très parcimonieuses et ne permettent que progressivement de comprendre la scène inaugurale. Forrest Gander, lui-même originaire du désert de Mojave et diplômé en géologie, décrit minutieusement les lieux et les êtres. Il s’attache particulièrement aux paysages désertiques du Texas et du Mexique, en harmonie avec la léthargie des personnages.

La langue de Forrest Gander est contemplative : elle embrasse les vastes espaces trop calmes qui bercent le couple inconscient des dangers. On les suit dans l’intimité et la banalité de leurs gestes, rendues plus sensibles encore à travers les poèmes qui ouvrent chaque chapitre.

On pourrait s’y perdre sans la panne qui les force à sortir de leur torpeur dépressive pour tout simplement survivre. Le désert, la chaleur, les animaux ne sont plus dès lors sources de contemplation ou d’étonnement mais bien d’inquiétude. Plus de voiture, plus de téléphone : il n’y a plus qu’eux seuls, Dale et Hoa, face à l’espace sauvage. La violence des hommes les surprend alors qu’ils sont ainsi vulnérables. Et cette violence-là, celle des narcotrafiquants, laisse loin derrière la douce rêverie érudite autour d’Ambrose Bierce et leur dépression de quarantenaires inquiets pour un fiston trop indépendant.

La Trace fait figure d’odyssée poétique et intime : à la fois road movie dans les pas d’un disparu mythique et fine introspection d’un couple désemparé. »