DNA, Veneranda Paladino, samedi 24 septembre 2016


« Un djihad de l’amour »

« Avec Fraternels, son 8e roman, Vincent Borel opère en démiurge littéraire. D’une puissance éblouissante, ce roman post-apocalyptique déjoue les pires scénari, et refonde dans une truculence libertine, l’horizon d’une utopie.

Être à la hauteur de la fraternité, des espoirs, de la joie, des excès mêmes de la vie. Ainsi chemine Vincent Borel qui a publié en cette rentrée littéraire avec la complicité de Sabine Wespieser, un roman post-apocalyptique foisonnant. Mais d’une apocalypse réjouissante, fondatrice de lendemains utopiques, joyeux.

Dans Fraternels, Vincent Borel déploie la fureur créatrice d’un démiurge littéraire. Il y a une puissance wagnérienne dans cet ample roman-monde rythmé par le cycle des quatre saisons. Qui se déploie sur tous les continents, appréhende aussi bien nos cultures occidentales hyper connectées que celles des tribus Quechuas d’Amérique latine, des légendes chamanes.

En 560 pages, Vincent Borel est ce chef d’orchestre unique capable de diriger une chevauchée des Walkyries, de mixer pour une rave party, d’entonner un air tzigane, de psalmodier de la poésie soufie. Éclectique, iconoclaste, risqué, Fraternels repose sur autant de visions fractales vertigineuses. À partir d’un fait divers lu dans la presse, un homme urine sur la Flamme de la Résistance, le romancier scénarise moult épisodes au rebondissement invraisemblable.

Fresque d’anticipation si ancrée dans notre présent, Fraternels déjoue la logique prédatrice de l’entreprise Opié, conceptrice de l’Ifon 12, wifi neuronal directement connecté aux nerfs humains, et leader européen de l’énergie. Que se passerait-il si une grande panne électrique survenait ? Le romancier met en pièce la toute-puissance du capitalisme et les fanatismes de tous bords. Caricature l’addiction maladive aux technologies, et oppose à la figure du PDG d’Opié celle d’un imam gay. Fils de communistes, Yakut prêche pour un djihad aphrodisiaque contre le Califat noir. Dans ce renversement du monde, Vincent Borel horloge « un temps retourné », assume le retour à un monde archaïque. Du côté de Cadarache, une ZAD, zone à démystifier, s’organise, on revient au troc et aux livres papier.

Jusqu’à la venue in fine, d’une fille messie mettant les trois religions à terre, l’imagination débridée dont fait preuve Vincent Borel semble branchée sur le réseau aussi méandreux que tentaculaire d’Opié.

Laissant livre cours à la puissance de la fiction qui l’habite, le romancier saisit avec éclat l’aberrante réalité de nos sociétés et ses croyances irrationnelles.

Fraternels anime des images inconnues de ce qui est connu. Vincent Borel fabrique une pensée faite des apparences que le monde nous offre et qui sont unies dans un ordre évoquant le mystère de la réalité. N’est-ce pas le signe de la formidable réussite de Fraternels ? »