ELLE, Virginie Bloch-Lainé, vendredi 19 mars 2021


« Que signifie joyciser ? Écrire dans le style de Joyce, à la frontière du sens et du non-sens. C’est ce que fait l’Irlandaise Edna O’Brien, 90 ans, dans ce bref essai consacré à James Joyce et Nora Barnacle. Il l’a rencontrée en 1904 et ne l’a plus jamais quittée, jusqu’à sa mort en 1941. James et Nora s’aimaient passionnément ; attention, danger ! Il vivaient dans la misère et s’envoyaient des lettres d’amour fou et cru. La romancière raconte alors leur complicité, leurs emportements, leurs exils pour fuir les dettes, leur façon chaotique d’être parents et amants : Avoir un aperçu de l’ascension-descension d’autrui en amour est quasiment impossible, mais la comprendre chez James Joyce est vertigineux, redoutable, métamorphosant et impondérable. Ici, point de batterie de cuisine, point de normalité. Il est à la fois une réalité bizarre dans sa quête et une métamorphose par où les femmes sont hissées sur des piédestaux pour litanies. Sous-titré simplement Portrait de Joyce en couple en hommage au Portrait de l’artiste en jeune homme de Joyce, le livre recèle de superbes difficultés. Edna O’Brien joue avec le babil inventé par l’auteur d’Ulysse. Elle en parsème ses pages, frôlant parfois le poème en prose, comme ici : Et patali et patala, que je te me le butine, lutine et turlutine. Écoutez le son, et le sens viendra. C’est en lisant Joyce à qui elle a consacré une biographie qu’Edna O’Brien a découvert sa vocation d’écrivaine. Comme lui, elle a quitté l’Irlande qui censurait sa liberté de plume. Son essai est suivi d’une postface épatante de Pierre-Emmanuel Dauzat. Le traducteur d’Edna O’Brien montre que la langue de Joyce est formée de toutes les langues, au point que le lecteur français est enclin à se demander si les traducteurs ont fait leur office. »