EN ATTENDANT NADEAU, Linda Lê, mardi 27 août 2019


« Edna O’Brien, dans la noirceur »

« Elle s’est approchée de la noirceur, elle l’a étreinte, elle y est entrée. Elle, c’est une adolescente nigériane faisant partie des lycéennes kidnappées par Boko Haram en 2014, personnage principal de Girl d’Edna O’Brien.

Le roman d’Edna O’Brien s’ouvre sur une scène qui révèle toute l’atrocité de ce qui a eu lieu : le début n’est qu’un cri, une confession violente où la jeune fille dit en quelques mots l’effroi et la barbarie qui ont fait irruption dans sa vie depuis que des djihadistes armés sont entrés dans son école et l’ont enlevée, en même temps que ses amies de classe : « J’étais une fille autrefois, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Les entrailles, un bourbier. » Violées, mariées de force, ces adolescentes, prisonnières dans un camp, découvrent la réalité de la sauvagerie, vivant, de plus, dans l’angoisse de tomber enceintes. Celle qui était autrefois une fille fait, presque à la façon d’une égarée, le récit de son calvaire, le seul espoir auquel elle s’accroche est de sauver l’enfant qu’elle a eue pendant sa captivité. Avec « Babby », elle va tout tenter pour s’évader. Mais il n’y aura pas de fête du retour au bercail, la flétrissure la marquera à jamais.

Edna O’Brien, qui a toujours écrit à la manière d’une guerrière usant de ses mots comme autant de moyens lui permettant de se désentraver, compose une nouvelle fois une leçon des ténèbres où l’apprentissage de la liberté et la conquête de soi à travers le refus de l’emprise de certains prédateurs disent le rejet d’une forme d’asservissement que la bonne société fait peser sur les « créatures » jugées trop affranchies. […]

Il est parfois difficile d’imaginer l’Edna O’Brien fréquentant Paul McCartney dans la peau de l’intraitable romancière écrivant Girl. Elle-même avoue avoir deux moi conflictuels, ce qu’elle attribue au fait d’avoir eu deux grands-mères si contraires : « lady pour l’une, paysanne pour l’autre ». De la même façon, l’auteur de Girl, qui fouille les bas instincts, met au jour la part inhumaine (ou humaine, trop humaine ?)  en chaque homme, paraît être d’une intransigeance irréconciliable avec ce qui ressemblerait à un certain penchant pour la mondanité. Mais c’est se tromper sur la personnalité profonde d’Edna O’Brien, cette combattante qui se rit des tartufferies et, tout comme l’adolescente de Girl ou la proie du criminel de guerre dans Les Petites Chaises rouges, se révèle une résistante qui s’arc-boute contre un NON rageur dans chacun de ses livres. »