ÉTUDES, Pascale Gruson, juin 2022


Gustav Mahler fait la traversée (l’ultime) qui le ramène de New York à Toblach dans les Alpes autrichiennes, un lieu où il a vécu de grandes joies et de terribles épreuves, un lieu où le chant des oiseaux l’enchante, le lieu où il a composé l’essentiel de son œuvre. Il est habité par cette fièvre qui, depuis toujours, l’épuise mais lui donne une force démesurée. Un garçon de cabine, silencieux, attentif, fasciné, veille à son confort.
Au fil des grondements de l’océan et du cri des mouettes dans leurs multiples variations, les souvenirs se bousculent dans le désordre. Il y a la rencontre tumultueuse avec Rodin qui n’en peut plus de réaliser le buste de cet homme agité. Il y a aussi le pupitre vermoulu, cet instrument fétiche avec lequel il a transformé la sonorité des orchestres qu’il a dirigés : d’abord celui de l’Opéra de Vienne dont il a pris la direction à un moment où ses musiciens, fort de leur célébrité, se figeaient dans la routine, puis celui de l’Opéra de New York, enfin l’Orchestre philharmonique de New York. Il y a la rencontre avec Freud d’où émerge la terreur d’un souvenir d’enfance. Et d’autres encore. Mais c’est bien sûr la relation avec son épouse, Alma Schindler, qui au cœur de cette effervescence mémorielle avec ses dissonances, ses sonorités grinçantes, voire triviales et de merveilleuses consonances.
Avec une concision quasi aphoristique, Robert Seethaler livre une partition de grande intensité, hommage sensible et émouvant à la vie et à l’œuvre du grand compositeur.