FLORILETTRES, Élisabeth Miso et Corinne Amar, octobre 2022


Gabriel Byrne, Mes fantômes et moi. Traduction de l’anglais (Irlande) Diane Meur. Gabriel Byrne, le magnétique comédien d’Usual Suspects (1995), de Miller’s Crossing (1990) ou de la version américaine de la série En Thérapie, a toujours gardé « ancré au fond de (s)on âme » le souvenir réconfortant de cette colline des faubourgs de Dublin où il se réfugiait  enfant. Il venait y lire, rêver, contempler les champs et la rivière alentour, se délecter de plaisirs simples. Sa mère lui a transmis son goût pour la poésie et le théâtre, sa grand-mère celui pour le cinéma. Issu d’un milieu ouvrier, il n’imaginait pas devenir acteur. Maladivement timide, la notoriété lui a souvent été inconfortable. « Je suis introverti de nature. Pendant longtemps, j’en ai eu honte. Comme si c’était une sorte de défaillance morale. Je ne me sentais jamais à ma place nulle part. J’étais toujours à essayer d’être le plus vrai possible. À rechercher l’authenticité. Mais j’étais paralysé par mon masque et par celui des autres. » Dans ses Mémoires, point de strass ou de paillettes. L’artiste irlandais ne s’attarde pas sur sa réussite professionnelle. S’il évoque ses débuts sur scène ou certaines anecdotes de tournage, c’est pour mieux souligner ses doutes, le sentiment d’imposture qui l’a longtemps poursuivi ou des épisodes d’angoisse tenace, tel celui lié au succès d’Usual Suspects à Cannes. L’essentiel de son récit gravite autour de son enfance et de sa jeunesse, met en lumière les paysages irlandais, les lieux, les êtres, les émotions qui l’ont façonné. Dans son décor intime, se détachent les visages de sa mère et de son père, des commerçants de son quartier, du vieux fermier qui refusait de quitter sa propriété, de son ami Jimmy mort noyé ou encore du plombier violoniste dépressif. Il se souvient de la dureté de l’enseignement religieux. De son attirance à onze ans pour la prêtrise, d’abus sexuels subis au séminaire, et de la joie immense qu’il a éprouvée d’échapper, à  quinze ans, à ce morne destin. Il a enchaîné les petits boulots, a été le premier de sa famille à entrer à l’université. Il s’est lancé dans le théâtre, a décroché un rôle dans un feuilleton télé très populaire, puis a fait ses premiers pas au cinéma dans Excalibur (1981). « Ne craignez pas l’avenir, et ne pleurez pas le passé », Gabriel Byrne, qui a fait sien ce vers de Percy Bysshe Shelley, se livre ici avec une bonne dose d’autodérision, une extrême lucidité et un talent littéraire certain. Il dévoile sa face la plus lumineuse comme la plus sombre, ne dissimulant rien de ses failles, de son addiction passée à l’alcool, de ses accès dépressifs ou de la schizophrénie qui a emporté sa sœur tant aimée. Élisabeth Miso et Corinne Amar