FRANCE CULTURE, Emmanuel Laurentin avec Arlette Farge, Pascal Ory et Fabrice D’Almeida, (de 23’22’’ à 35’09’’), vendredi 17 octobre 2014


« La Fabrique de l’Histoire : Table ronde fiction »

« E. L. : Qu’est-ce que vous avez pensé, vous Pascal Ory, de ce roman de Robert Seethaler, Le Tabac Tresniek, chez Sabine Wespieser, traduit de l’allemand par Elisabeth Landes ?
P. O. : Beaucoup de bien. […] J’ai été séduit par le style, parce que c’est bien sûr d’abord une question de style. Je trouve que c’est vif, nerveux, empathique, cinématographique… On est toujours au second degré. Il nous laisse avoir notre jugement, il ne nous impose pas de jugement et cela fait passer la grande Histoire […] dans une histoire qui peut paraître au départ tout à fait anodine. […] Le coup de génie du livre, c’est la rencontre avec Freud. Effectivement, on a une éducation sentimentale. Le jeune Franz, pour des raisons diverses, est un peu maintenu hors de l’histoire, hors du monde dans sa haute Autriche et puis les circonstances très bien racontées au début (je laisse le lecteur les découvrir) l’obligent à être expulsé de ce petit paradis montagnard, autrichien conformiste, conservateur, antisémite […]. Et, il est précipité dans Vienne la cosmopolite […]. Tout cela se termine en demi-teinte, de façon très poignante. Je trouve que c’est une sorte de fin paradoxale, assez impressionnante.
E. L. : Il faut noter les registres de langue aussi, bien rendus par la traduction d’Elisabeth Landes […]. Et puis, aussi, j’ai beaucoup aimé cette description de ce bureau de tabac comme centre du monde, d’une certaine façon.
P. O. : La citation du centre du monde, page 31, c’est Otto Tresniek qui parle, le buraliste : Un mauvais cigare a un goût de crottin de cheval, un bon cigare a le goût du tabac et un très bon cigare, celui du vaste monde.
E. L. : Qu’est-ce que vous en avez pensé, Arlette Farge, de ce roman de Robert Seethaler, Le Tabac Tresniek, chez Sabine Wespieser ?
A. F. : Moi, j’ai trouvé que c’était vraiment un très, très beau livre. D’une part, par son écriture, par ses élans poétiques constants. Au milieu d’une grande histoire bouleversante, bouleversée qui conduit à la mort plusieurs des personnages qui sont là, on a des descriptions du fameux Franz un peu hors du monde […] descendu de sa montagne, qui s’émerveille à chaque fois. Il s’émerveille du ciel, il s’émerveille du soleil, il s’émerveille des montagnes, il s’émerveille de son amour. […] Il y a une poésie absolument extraordinaire. La deuxième chose que je voulais dire à propos de ce livre, qui m’a beaucoup touchée, qui m’a beaucoup plu, c’est ce mélange justement entre poésie et grande histoire. Ce n’est pas simple à faire… Et aussi, cette chose si belle, la rencontre avec Freud totalement inattendue, bien sûr. […] Les dialogues plus ou moins psychanalytiques […], c’est trop marrant, c’est trop drôle et c’est très doux en même temps.
F. D. A. : Ce qui a de passionnant dans le livre, c’est quand par touche, c’est un peu un roman initiatique, quand même. […] Il faut rappeler, ça commence en 1937-1938 et on a, par touche, l’arrivée du nazisme. […] Il y a le nazisme qui est là et en même temps, c’est un gamin qui s’amuse […]. On a l’impression qu’il va passer à travers cela, qu’à la limite il va en réchapper […].
A. L. : Aussi poétique, je trouve, bien que banale, la correspondance entre sa mère et Franz, son fils. Ils s’écrivent peu, mais les lettres sont très belles. Donc, il y a, en plus, plusieurs registres d’écriture, c’est très étonnant. […] Il y a des scènes horribles, et il y a des scènes complètement évanescentes, remplies de poésie. Vraiment, moi je veux bien lire le prochain livre. »

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