LA CAUSE LITTÉRAIRE, Stéphane Bret, jeudi 23 mars 2023


Les sans-grades, les oubliés de l’histoire, les invisibles, ne souffriront pas de ce statut dans le roman de Maryline Desbiolles, Il n’y aura pas de sang versé. Celui-ci met en scène quatre femmes, Toia, Rosalie Plantavin, Marie Maurier, Clémence Blanc. Elles ont peu de points communs quant au parcours initial de leurs vies, souvent caractérisé par la misère, une souffrance familiale, un manque d’éducation. Pour Maryline Desbiolles, c’est une comparaison sportive qui s’impose pour éclairer et expliciter le sort de ces femmes, et les relier entre elles, celle des relayeuses d’un parcours athlétique. Ces femmes ont en commun d’être des ouvrières ovalistes, lorsqu’elles sont embauchées à différents moments dans les usines textiles de l’agglomération lyonnaise. Leur rôle est de garnir les bobines des moulins ovales et de surveiller la torsion nécessaire à donner au fil grège.

Dans leur parcours, il y a l’espérance d’échapper à la misère, de trouver une vie meilleure, c’est souvent la cause première de l’émigration vers un autre pays : « Toia serait logée, nourrie, à l’atelier, avec d’autres bonnes filles comme elle, des ovalistes on les appelle ». Pour Rosalie Plantavin, c’est le souvenir de sa famille qui lui donne l’énergie indispensable pour survivre dans ce nouveau milieu, impersonnel, mais où elle trouve de l’humanité et du réconfort : « Avec Thérèse, elle va au café, un vinaigre, comme l’appelle Thérèse, où on boit du vin et de l’eau-de-vie. C’est la première fois que Rosalie Plantavin entre dans un café ; (…) Je suis une femme qui tombe, je suis une femme qui boite, je suis une femme qui rit, je suis une femme qui pleure, et de se savoir capable de toutes ces choses la réconforte grandement ».

Au cours de leur participation à la grève survenue en juin 1869, ces femmes se confrontent à la réalité sociale et économique, à l’apprentissage de la rédaction et de la formulation de leurs revendications, ces dernières démarches étant grandement facilitées par l’entremise d’un écrivain public, Monsieur Bosquier. Même si ces demandes ne sont pas toutes satisfaites à bref délai, c’est une étape qui est marquée dans leurs vies, un point d’ancrage pour l’avenir, une leçon de vie administrée : « Jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là, des mois de juin et juillet 1869, à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord (…) Être soi-même en sortant de soi consiste à éprouver ce que nous ignorons, une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir, les parents ? les patrons ? ».

Le récit de Maryline Desbiolles nous plonge avec grand bonheur dans le ressenti individuel de ces ouvrières, dans leur découverte très personnelle de l’émancipation, des conflits sociaux, de la nécessité de l’éducation. Il rejoint ainsi la grande Histoire.

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