LA CROIX, Laurence Péan, jeudi 16 février 2023


La ronde des femmes

Essayiste de renom, Camille Froidevaux-Metterie se lance dans la fiction et donne la parole à un chœur de femmes bouleversées par l’arrivée de la petite Ève.

La philosophe Camille Froidevaux-Metterie a fait du corps des femmes son sujet d’études dont elle a nourri nombre d’essais, parmi lesquels Un corps à soi (Le Seuil), écrit à la première personne — le « je » jugé nécessaire pour y adjoindre le vécu de sa propre expérience. Pour sa première incursion dans la fiction, elle reste dans son domaine de prédilection en concentrant son propos sur douze femmes, à tous les âges de leur vie, auxquelles elle donne la parole.

Au centre de ce chœur féminin trône Ève. Elle est née par PMA selon la volonté de Stéphanie, sa mère, qui ne voulait pas « endurer les charges immémoriales de la domesticité féminines », envoyant aux gémonies l’injonction sociétale qui prône qu’il faut être deux pour être heureux. D’ailleurs, ils seront trois puisqu’elle a choisi son ami Greg comme père « intime » pour sa fille.

Le choix de Stéphanie déclenche chez les membres de la famille et les amies proches — grand-mère, sœurs, nièces, tantes, cousines, copines, nounou — une avalanche de réactions et donne à l’autrice l’occasion d’explorer une fois encore, minutieusement et avec tendresse, toutes les étapes qui balisent le voyage au long cours de la vie des femmes.

Et celle qui ouvre le bal de cette ronde, c’est Ève à la chair « pleine et douce ». Dans la tiédeur de son berceau, elle se demande si sa mère parviendra « un jour à se débarrasser de cette inquiétude qui accompagne son amour depuis toujours ». Puis se succèdent les épouses affairées et délaissées, les amantes à la sexualité fantasmée ou absentes, les divorcées affligées, toutes déstabilisées par l’arrivée de la ménopause… « Un beau matin on se réveille et on n’est plus une femme, on est devenue et on restera le souvenir d’une femme », se désole Corinne, l’amie de Stéphanie, qui vit mal son célibat.

Puis ce sont les mots des adolescentes qui bruissent de spéculations, avec l’irruption de leurs premières règles, le vertige de la première fois. À l’image de Charline, la nièce de Stéphanie, qui, victime d’un viol lors d’une soirée, se dissout dans sa peur et ne trouve pas le courage d’en parler, parce qu’elle redoute d’entendre les mêmes questions : « Pourquoi t’as pas dit non ? Pourquoi t’as pas crié ? Je ne pouvais pas. Je n’ai pas pu…» Enfin résonnent les diatribes de Nicole, la grand-mère acarciâtre, qui pleure la très belle femme qu’elle a été et rejette le simulacre familial de Stéphanie, ce projet fou de maternité en solitaire…

Scrutant parfois avec crudité chaque recoin de ces maux qui assaillent l’intimité des corps, Camille Froidevaux-Metterie dessine à petites touches le portrait charnel et pluriel de la femme d’aujourd’hui dans toute son universalité, sa beauté et sa vulnérabilité.