LA QUINZAINE LITTÉRAIRE, Claude Fierobe, mercredi 1er mai 2013


« Le chemin de la vie »

« Des Filles de la campagne, premier roman, à Fille de la campagne, ces mémoires qu’Edna O’Brien s’était juré de ne jamais écrire, il y a un demi-siècle. Il y a aussi ce singulier, qui distingue l’autobiographie de la fiction, encore que la séparation ne soit pas totale, tant l’œuvre est nourrie d’une existence tumultueuse où se mêlent la force incontrôlable des passions et la farouche ténacité de l’écrivain.
Long chemin, soigneusement balisé dans un récit organisé en séquences courtes, où la chronologie cède souvent le pas à la rêverie, où la mémoire, selon la belle formule de John McGahern, devient l’imagination. Long chemin, de la demeure de Drewsboro, à Tuamgraney dans le comté de Clare, une source d’inspiration, aux salons littéraires de Londres, et à cet hôtel particulier de Chelsea, 10 Carlyle Square, où passeront les personnages célèbres de la scène, de l’écran, de la vie politique ou littéraire. […]
Il y a donc ici toutes les paillettes d’une vie rebelle et placée souvent sous les feux de la rampe. Et pour nous lecteurs, il y a l’énergie indomptable d’un esprit plein de feu, la pleine conscience d’une vocation, ma sotte ambition d’être écrivain. Edna O’Brien a commencé à écrire à Londres en 1958 dans des cahiers apportés d’Irlande qui portaient le nom d’Aisling, ce qui veut dire rêve ou vision, où elle capture les alluvions de la mémoire, et d’une chose plus forte que la mémoire. […]
C’est bien dans la vie que sont découverts les sujets des romans. […]
À Marlon Brando qui lui demande si elle est un grand écrivain, elle répond courageusement : je compte bien. Alors il la fait s’asseoir sur une balançoire à proximité et, par une belle et vertigineuse poussée, l’envoie vers les altitudes tant désirées de la langue. Retenons cette belle image d’envol : voyage d’une vie pleine à craquer, faite de joies éclatantes et de chagrins surmontés par une farouche détermination ; voyage dans une société irlandaise bouleversée par la modernité ; et, avant tout, voyage dans le pays de l’écriture aussi difficile, aussi semé d’embûches, mais aussi enchanté que la grande maison rose sur les rochers du Donegal où l’on voit les jonquilles d’un côté, la mer de l’autre. »