LE MAGAZINE LITTÉRAIRE, Aliette Armel, mai 2013


« La sage scandaleuse »

« Commencée dans l’odeur du pain comme en écho à la saveur de la madeleine proustienne, cette entreprise littéraire se déploie avec puissance. À partir des matériaux offerts par les expériences de la vie, elle suit un processus qui n’est plus celui de la transposition romanesque mais celui de la transmutation de la masse des souvenirs en récits cohérents : Edna O’Brien architecture une narration portée par la magie d’une langue élégante et efficace tout autant que par la lucidité de l’analyse et l’émotion suscitée par des événements tour à tour violents ou joyeux et par la fureur de vivre du personnage principal, qui entend réaliser ses aspirations : l’écriture, la fête, la passion, l’amour des hommes, mais aussi l’amour maternel et filial, la contemplation des paysages et de la peinture, l’observation de la multiplicité des êtres. […]
Edna O’Brien relate la traversée de ces épreuves sans en masquer les injustices ni les douleurs mais en se gardant de toute dramatisation et de tout militantisme : son énergie, sa force de résistance, la réussite de ses entreprises sont, à elles seules, des manifestes. C’est avec le même naturel qu’elle relate l’autre face de son existence : sa participation enthousiaste aux Swinging Sixties dans le quartier londonien de Chelsea, puis aux soirées dans les restaurants new-yorkais à la mode, sa manière de côtoyer, en préservant son regard de fille de la campagne, des personnalités comme Paul McCartney, Marlon Brando ou Donleavy. […] Ses mémoires sont une prodigieuse galerie de portraits. En quelques phrases lucides, nourries d’une admiration et d’une affection sincères, Edna O’Brien renouvelle l’image de ceux qu’elle fréquente. »