LA QUINZAINE LITTÉRAIRE, Norbert Czarny, vendredi 1er février 2013


« Dans le mouvement du bandonéon »

« C’est d’abord une question de paysage, de couleurs, de lumière, une affaire de perceptions : les traces rouge sang, le gris d’acier de la mer, une robe verte achetée et laissée sur un banc, un vase ébréché dont on ne peut se défaire… On entre dans l’univers de Michèle Lesbre par un réseau sensible, des notations qui se croisent, se rencontrent, comme les êtres. Rien qui pèse ou qui pose, pour reprendre les mots de Verlaine, poète qui pourrait traverser ces pages.

Mais ici, c’est Duras qui est citée en épigraphe, et on laissera les lecteurs découvrir pourquoi. Écoute la pluie est un roman bref et dense comme tous les textes de Michèle Lesbre. Une femme, la narratrice, a rendez-vous avec un homme. Ils doivent se retrouver au bord de la mer, dans un hôtel qui leur est familier, ou l’a été. Ils se sont aimés là, puis perdus ; tout devrait recommencer en ce lieu non loin de Nantes où désormais il vit. Mais un accident empêche qu’elle parte : un vieil homme se jette sur les rails du métro, un sourire sur les lèvres. Elle pourrait partir, rien ne la retarde vraiment, mais ce geste est comme un scandale, au sens étymologique : c’est le petit caillou dans la chaussure. Et c’est aussi ce qu’on entend par ce mot, quelque chose qui n’a pas lieu d’être, qui révolte, qui bouleverse.

La mort de ce vieil homme, dans une solitude désarmante, pourrait rappeler celle du héros de De Sica dans Umberto D. Pour la narratrice, qui a cru autrefois aux utopies, ce suicide est comme une souffrance de plus, la confirmation d’une époque sans pitié à l’égard des plus fragiles. Elle se met à errer dans Paris, se retrouve un instant dans une soirée modaine, comme sortie d’un film d’Antonioni ou de Louis Malle, hurle sa colère et poursuit son chemin sous l’orage. Elle aime la pluie, s’égare sous l’averse. […]

La nuit parisienne fait écho à d’autres nuits, à Trieste, à Venise, ailleurs encore. Paysages, passages… Au terme de cette errance, quelques certitudes sont nées, et un espoir, celui de recommencer, de réinventer, de se réinventer, parce que, comme l’écrit la narratrice, nous sommes vivants. »