LA VIE, Marie Chaudey, jeudi 28 mars 2013


« Edna O’Brien, fille de l’Eire »

« La romancière est chez elle à Londres, où elle écrit depuis plus d’un demi-siècle. Mais son home, sa vraie patrie mentale et romanesque, son berceau restera toujours l’Irlande, où elle est née en 1930 dans une ferme du comté de Clare, dans l’ouest de l’île. Là se trouve son domicile affectif et imaginaire, le terreau sauvage et violent où s’enracine sa fiction, et qu’elle évoque avec une sobre émotion dans la première partie de ses foisonnants mémoires, Fille de la campagne. Mais comme nombre d’auteurs irlandais exilés (de James Joyce à Samuel Beckett), Edna O’Brien entretient avec son pays natal une relation complexe, passionnelle et conflictuelle. […]
Mise en pension dans un couvent, Edna O’Brien confie être sortie de ces âpres années d’enfermement avec une faim de loup. De nourriture. De vie. D’histoires que j’allais écrire. Ses parents la laissent partir travailler à Dublin où elle obtient, à 20 ans, son diplôme de pharmacienne. C’est là qu’elle va rencontrer l’écrivain Ernest Gébler. Son existence prend alors le tournant de la rébellion et de la littérature. Elle s’enfuit et se marie avec Gébler contre l’avis de ses parents qui la poursuivent. Comme dans les romans du XIXe siècle… Le jeune couple s’exile à Londres où il ne durera guère. La publication des Filles de la campagne apporte à Edna O’Brien une notoriété que son mari, resté dans l’ombre, supporte de plus en plus mal. Après le divorce, la jeune écrivaine et renégate devra se battre pour obtenir la garde de ses deux garçons, Carlo et Sacha, qu’elle vénère – l’un est devenu écrivain, l’autre, architecte. Leurs portraits trônent dans la maison londonienne, et les mémoires de la romancière leur sont à tous deux dédiés : à mes guerriers de fils.
Mais la guerrière, ce fut d’abord elle-même, à lutter pour tout mener de front : ses vies d’écrivaine, de mère, d’amoureuse et de mondaine… Car dans le Swinging London des années 1960, la curieuse et avide Edna va croiser toutes les célébrités de la terre ! Des écrivains stars aux acteurs d’Hollywood, des chanteurs en vogue aux photographes de mode. La fille de la campagne prend sa revanche en ville. […] Edna O’Brien rapporte ces épisodes avec un humour et une simplicité allègres : la même justesse de ton dont elle use pour les personnages de son enfance rurale. Ici ou là-bas, elle restera toujours un électron libre. Inclassable, elle a écrit tous azimuts, des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, sur le sentiment amoureux, la sexualité féminine, les rapports mère-fille. Ses biographies font date, de James Joyce à Lord Byron. […] L’écriture est sans doute sa véritable religion, la fièvre qui la hante au quotidien, lui arrache de terribles et divins efforts, la cloître dans une bien-aimée et lui réjouit l’âme. La romancière peste contre les obligations et les rendez-vous liés à la publication de ses mémoires, qui la tiennent éloignée de sa table de travail. Déjà sous l’emprise d’un nouveau roman, elle affirme : La part spirituelle en jeu dans la littérature est tout aussi essentielle que la relation au monde. »