LE FIGARO MAGAZINE, Laurence Caracalla, vendredi 2 septembre 2022


Dans les coups de cœurs de la rentrée littéraire du Figaro Magazine

Le fil rompu

Ce n’est pas la mère dont elle se souvient, pas celle dont elle veut se souvenir. Kessané, la quarantaine, tente de comprendre pourquoi, comment, les liens avec Daredjane se sont rompus. Un mystère à la fois immense et terrifiant. Pour comprendre, il faut sans doute revenir en arrière, imaginer cette mère, belle et jeune danseuse géorgienne venue à Paris, sa rencontre avec Tamaz pour qui elle quittera son pays natal et qui deviendra son mari, le père de ses deux filles. Se raccrocher aux souvenirs de cette famille d’exilés, ce « noyau » de quatre membres inséparables. Puis se rappeler du pire, la mort du père bien-aimé, le déséquilibre que provoquera son absence. Car Daredjane ne se remet pas de cette disparition et cherche à en vouloir à quelqu’un : pourquoi pas cette aînée qui a réussi sa vie plutôt que la cadette qui cherche encore sa voie. Kéthévane Dravichewy n’a jamais eu besoin d’artifices pour raconter la famille, l’exil, l’amitié, le déracinement dont on hérite, bien sûr. Ce roman ne déroge pas à la règle : bref, intense et lucide, il va droit au but et déclenche chaque fois une intense émotion. Dès les premières pages, la romancière relate à hauteur d’enfant le bonheur d’appartenir à une tribu protectrice, puis son éclatement à l’âge adulte avec son lot de solitude. Une vie comme une autre sans doute et une héroïne à jamais marquée par l’injustice, les portes qui se ferment. Restent les images de ce temps où une mère aimait sa fille, une fille aimait sa mère. Tout simplement.