LE MATRICULE DES ANGES, Etienne Leterrier-Grimal, mars 2021


« Joyce en ménage

Guère un jour sans que je lise du Joyce  : on relève dès l’avant-propos combien la lecture de l’auteur d’Ulysse ou de Finnegans Wake est bien pour l’écrivaine irlandaise Edna O’Brien la source par laquelle l’écriture étanche un besoin permanent de revivifier la langue. En faisant un portrait double de l’écrivain et de sa femme, Edna O’Brien ne s’inscrit pas tant dans la pratique de la biographie que dans la tradition (bien plus spécifiquement britannique) de l’essay biographique : ce genre non-fictif où pourtant filtre partout, parmi les faits véridiques, le rapport personnel cultivé par l’auteur à un être donné. Moins une volonté d’objectiver le sujet, mais plutôt au contraire , un besoin de se l’approprier, en revendiquant entre deux auteurs, homme et femme, quelque chose d’un secret lien. James & Nora trace le portrait en pointillé d’un couple dans le temps, depuis leur rencontre à Dublin en 1904, jusqu’à la mort de Joyce en 1941. Pour figer ces instantanés, Edna O’Brien puise dans la matière d’une riche correspondance, mais aussi – et ce n’est guère surprenant – dans celle des romans de Joyce dont, par un audacieux saut entre réalité et fiction, elle garnit son récit. Car Anna Livia, Leopold ou Molly Bloom ont aussi à nous apprendre sur James et Nora. Edna O’Brien évoque donc les errances du couple en Italie, les années de dèche où Joyce commence la rédaction de ses romans, puis Zurich et Paris. Mais James & Nora explore surtout les compromis nécessaires d’un couple forgé de deux solitudes, tenté par les excursus amoureux, et surtout obéissant à cette loi impérieuse du désir, désir de sexe ou désir d’écriture.
Voilà sans doute où se trouve l’urgence des pages de ce court essai : dire son amour pour ce mec funnominal  qu’est Joyce, rendre grâce à la part charnelle de sa langue, à ses fécondations permanentes, et à la force d’incarnation et de désir d’une prose dont une postface de Pierre-Emmanuel Dauzat évoque à son tour (et avec un brio absolu) tout le chatoiement. »