LE MONDE DES LIVRES, Gladys Marivat, jeudi 4 mai 2023


La vie d’une femme

Rien n’est plus émouvant dans ce roman choral que la voix d’Ève. Première narratrice du premier roman de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, Ève, du haut de ses quelques mois, symbolise à la fois le passé et l’avenir des autres personnages. On découvre à travers ses yeux le visage de sa mère, Stéphanie, qui l’a eue seule par procréation médicalement assistée. Le livre saisit le monde sensoriel d’Ève comme une caresse ; le rythme des phrases évoque une plume qui virevolte avant de se poser sur la page, et sur la peau « pleine et douce » de son héroïne. Stéphanie, cheffe de cuisine, prépare une fête pour célébrer la venue au monde d’Ève. Elle a invité son meilleur ami, qu’elle a désigné « père intime » de sa fille ; ses sœurs, nièces et amies ; pas sa mère, Nicole, qui rejette tout chez Stéphanie, de son choix de métier à celui de ne pas se mettre en couple. Toutes  prennent la parole, composant plus qu’un chœur : le film en accéléré de la vie d’une femme, de sa naissance au grand âge, et toutes les premières fois — amour, règles, rapports sexuels, mariage, adultère, divorce, ménopause. Mené tambour battant par ses narratrices, le roman change de mode dans son dernier chapitre quand un pépin de santé la veille du grand jour interrompt les préparatifs de la fête. Qu’importe : l’imprévu est le sujet de l’autrice dans ce roman épatant, terreau de nouveaux possibles.