LES ÉCHOS, Philippe Chevilley, lundi 7 décembre 2020


Ce genre de petites choses : le beau chant de Noël de Claire Keegan

L’écrivaine signe un bouleversant conte de Noël social, évoquant l’exploitation des jeunes mères célibataires par l’Église catholique dans l’Irlande des années 1980. Un pamphlet scintillant où triomphe la bonté.

« D’Andersen à Grimm ou à Dickens, les contes de Noël sont souvent particulièrement tristes. Ce qui ne les empêche pas de distiller une magie, mélange de froidure et d’étincelles, d’effroi et de bons sentiments qu’on appelle l' »esprit de Noël ». Le court roman de Claire Keegan n’annonce pas la couleur. Son titre Ce genre de petites choses n’évoque ni sapin ni manteau de neige. Son thème n’a a priori rien de festif, puisqu’il aborde la rude condition des jeunes mères célibataires, exploitées par l’Église catholique ultraconservatrice, au milieu des années 1980. Et pourtant, il illumine de sa grâce et de son humanité, tel un  » Christmas tale ».

Dans la ville portuaire de New Ross, les fêtes se préparent. Sous la pluie et bientôt quelques flocons de neige, Bill Furlong n’en finit plus de livrer du charbon et du bois. Sans être riche, il arrive à joindre les deux bouts et mène une vie tranquille avec sa femme, Eileen, et leurs cinq filles surdouées. Ce qui ne l’empêche pas d’être conscient de la crise économique qui pèse sur la région et n’épargne personne. En livrant du charbon aux sœurs du Bon Pasteur, il tombe sur de très jeunes femmes négligées, visiblement employées à la blanchisserie réputée du couvent. S’agit-il de ces filles non mariées dont on a placé les enfants et qui sont traitées comme des esclaves ?

États d’âme

Bill se sent d’autant plus concerné qu’il est lui-même né de père inconnu. Quand elle s’est retrouvée enceinte à seize ans, sa mère a eu la chance d’être protégée par son employeuse, une riche veuve protestante tolérante. Non content de conserver son poste de domestique, elle a pu élever son enfant dignement, avec l’aide de sa patronne. Quand il fait part de ses états d’âme à sa femme, le charbonnier est sèchement remis à sa place : les pratiques du couvent ne les concernent pas… Mais Bill n’a pas le coeur sec. Il pense à cette gamine découverte prostrée dans la remise à charbon lors de sa dernière visite aux soeurs. Alors que la ville s’illumine et que le gâteau de Noël cuit doucement dans le four, peut-il rester sans rien faire ?

La fin du roman nous plonge dans une atmosphère presque fantastique, convoquant à la fois le fantôme de « La Petite Fille aux allumettes » et la mélancolie d’un « Christmas song » de Coldplay ou de Liam Gallagher. Pamphlet scintillant, à la fois ardent et doux, le récit de Claire Keegan se mue en un chant de Noël rebelle qui va droit au cœur. Happy Christmas, Mrs. Keegan ! »