LES LETTRES FRANÇAISES, Jean-Pierre Han, novembre 2020


Bonheurs et colères d’une institutrice

« Ce livre d’à peine quatre-vingts pages de Michèle Lesbre est un petit chef d’œuvre. Écrit dans une langue d’une belle sobriété, pudique et ferme tout à la fois, c’est le récit de la vie de l’autrice en tant qu’institutrice puis directrice d’école, jusqu’en 1995, date à laquelle elle a pris sa retraite. Commencée en 1945 au lendemain de la guerre, sa « carrière » aura donc duré un demi-siècle, une durée largement suffisante pour que l’on puisse suivre avec elle l’évolution toute négative, pour ne pas dire plus, de l’École jusqu’à nos jours. C’est surtout un chant d’amour pour un métier au cœur de notre république laïque, une place qu’elle occupe – évolution politique libérale oblige – de moins en moins. S’il restait encore un authentique sens de ce qu’est le service public au ministère de l’Éducation nationale – on en doute –, celui-ci devrait immédiatement faire une bonne provision de l’ouvrage de Michèle Lesbre pour l’offrir à chaque individu, homme ou femme, qui choisit d’entrer dans le métier d’instituteur.

On se souvient du suicide il y un peu plus d’un an, de cette directrice d’école de Pantin, Christine Renon qui pointait du doigt, dans une lettre qu’elle nous adressait, les dysfonctionnements de sa fonction : c’est à elle que l’ouvrage est dédié. « Le suicide de Christine Renon, et la parution de l’essai de Christophe Champy, Vers une nouvelle guerre scolaire, ont ravivé tous mes griefs contre une institution qui ne respecte pas celles et ceux qui chaque jour sont devant les enfants ».
Le ministère a refusé de reconnaître que le geste de Christine Renon avait un lien quelconque avec son travail. Et aux enseignants qui s’étaient réunis pour protester contre cette attitude, il leur fut répondu, comme le dit joliment Michèle Lesbre, en retenant une journée de salaire sur leur feuille de paye… L’exergue, quant à lui, est une citation d’Hélène Bessette, éditée à l’époque par Gallimard – on la redécouvre enfin aujourd’hui chez d’autres éditeurs – et institutrice qui eut maille à partir avec certains parents d’élèves […] »