LETOURNEURDEPAGES.COM, vendredi 31 juillet 2020


« Le Champ est le nom donné au cimetière d’une ville. Au milieu des tombes, des voix s’élèvent. Vingt-neuf personnes esquissent leurs vies, laissent entrevoir leurs regrets, leurs espoirs et leur définition de la vie.

« Ça sent les hommes. Leur haleine, leur salive, leur sueur, et tout ce qu’ils ont laissé dans la nuit. Les lits sont encore chauds, les couverture en désordre. Les draps ont des taches humides. Certaines ressemblent à des îles, d’autres à des têtesÇa sent les hommes. Leur haleine, leur salive, leur sueur, et tout ce qu\’ils ont laissé dans la nuit. Les lits sont encore chauds, les couverture en désordre. Les draps ont des taches humides. Certaines ressemblent à des îles, d’autres à des têtes. Je m’imagine leur position. Leurs corps en sueur qui tentent de se blottir dans ce nid après une journée pleine de défaites. Ils ont sillonné la région dans leurs souliers vernis avec leur valise à roulettes, ils se sont assis dans des couloirs, dans des pièces et des bistrots à quatre soucis, se sont postés à des arrêts de bus et dans des entrées de maisons, ils se sont hâtés, ils ont couru et parlé, parlé, obséquieux, souriants, aux aguets, toujours prêts à tout, juste pour pouvoir finalement se glisser dans un lit étranger tout froid. À présent viennent les rêves. »

Ce roman s’attaque aux croyances et aux espoirs. Le premier chapitre nous présente lieu, le champ, où de multiples voix résonneront. Les chapitres suivants sont relativement courts, permettant de saisir un parcours de vie, un instant marquant mais surtout une manière belle et délicate de capter un sentiment sur la vie passée. Robert Seethaler ouvre son roman par cet incipit d’Edgar Lee Masters : « Et toi qui t’attardes entre ces tombes, tu crois connaître la vie ». Seethaler imagine alors ce que diraient les personnes sous ces tombes, les habitants de ce champ. Son livre est bouleversant, subtile et profond. Il détourne habilement les questions de bilan, associées à la mort : l’existence de Dieu, le bonheur, le pardon… Il fait parler les morts comme des vivants. Leurs voix sont pleines de regrets, d’envies, de joies, de malheurs. Il ne caricature jamais ces êtres en les plaçant dans une posture de philosophe. Ce sont des êtres dont le mouvement a été stoppé par la mort. Ils sont hors du temps et peuvent alors constater le cours de leur vie. Ils doivent regarder le passé, l’admettre et peuvent alors définir leur manière de vivre. Ce roman parvient à rappeler toutes les possibilités d’une vie et les vingt-neuf personnages témoignent de cela. Ils ont vécu et le présent n’est rien pour eux. L’un des derniers chapitres abordent la confrontation entre la mort et la présent dans un chapitre magnifique et bouleversant. Robert Seethaler montre toute l’énergie de la vie avec ces monologues. Chaque voix laisse une empreinte grâce l’honnêteté des êtres. De nombreux passages sont tellement sincères, emplis d’amour et d’altruisme pour certains, rongés par la déception d’être passés à côté pour d’autres. Ce roman choral, par son humanité et son écriture si belle, ne résume pas la vie mais en rappelle la grandeur, la beauté et l’immense fragilité. »

Le Champ