L’EXPRESS, Marianne Payot, jeudi 26 août 2021


Rentrée littéraire : Bavure à Milwaukee

Le romancier haïtien Louis-Philippe Dalembert brosse le portrait d’un homme ordinaire, victime de la violence policière américaine. Milwaukee Blues, un roman saisissant.

« Il y eut, en juillet 2014, à New York, le meurtre d’Eric Garner, vendeur de cigarettes à la sauvette : un policier blanc fit pression avec son genou sur la nuque de l’individu, dont le « I can’t breathe » impressionna la planète. Il y eut aussi, en mai 2020, l’affaire George Floyd, cet Afro-Américain de 46 ans, interpellé et réduit au silence suivant la même technique. Le détonateur… Hanté par ces « Je ne peux respirer », habitué aux affaires sensibles (Mur Méditerranée, Noires blessures) Louis-Philippe Dalembert a pris la plume. Né à Port-au-Prince en 1962, docteur en littérature comparée, le romancier et poète haïtien connaît bien les Etats-Unis, notamment pour avoir professé à l’université Wisconsin-Milwaukee. C’est dans ce Middle West, gangrené par un racisme latent, qu’il a planté l’histoire édifiante de son Milwaukee Blues et a donné corps à une nouvelle victime de bavure policière, prénommée Emmett, un homme aux rêves brisées. […]

Mais ça, le gérant d’origine pakistanaise d’une supérette de Franklin Heights, le premier personnage à prendre la parole dans ce roman choral, ne le sait pas encore. Il sait juste que, à la suite de son coup de fil au central (le fameux « 9-1-1 ») pour un soupçon de faux billet, un homme est mort, asphyxié. Alors il s’en veut, ses nuits sont habitées de cauchemars. L’ancienne institutrice d’Emmett est, elle aussi, effondrée. Portée par les idéaux de 1968, elle était venue d’un quartier blanc de Milwaukee, « l’une des métropoles les plus ségréguées des Etats-Unis », pour enseigner dans le ghetto noir, et rêvait de changement. Elle se souvient bien du gentil gamin, l’un de ses chouchous. Puis interviennent les amis d’enfance, Authie et Stokely ; son coach ; son ex ; l’énergique révérende Ma Robinson, ex-gardienne de prison…

De témoignage en témoignage, le profil d’Emmett, 46 ans, prend chair. Elevé par une mère bigote. Piètre élève, mais footballeur aux placages en or il avait bénéficié d’une bourse universitaire et était à deux doigts de signer pour une franchise de la National Football League lorsque deux blessures sonnèrent le glas de son avenir professionnel. Si Louis-Philippe Dalembert s’amuse du politiquement correct, il ne prend jamais parti, se contentant de raconter, sans trémolos, cette Amérique des minorités. C’en est d’autant plus saisissant et cinglant. »