LIBÉRATION, Émile Rabaté, jeudi 11 septembre 2014


« C’est peut-être l’essence même de l’écriture : Parler pour arracher à la nuit ces mots qui n’appartiennent qu’à elle. Des mots (tirés) de la clarté des jours, comme s’il fallait un peu d’obscur pour les saisir. Deux phrases, piochées dans Bain de lune, dont jaillit une rêverie floue. Quelque chose en noir et blanc. Où apparaît soudain l’entrelacs symbiotique des caractères d’imprimerie avec une page nue. De la parole avec le silence. N’est-ce pas d’ailleurs pour cela qu’on aime un écrivain ? Pour ces éclairs de sens qui foudroient nos pensées, puis les laissent éblouies dans la nuit doublement épaisse d’une cécité nouvelle. Yanick Lahens montre dans son quatrième roman toute l’étendue de son talent. Sans prétention aucune. Mais avec l’assurance d’une romancière passée maître dans la peinture des ombres sur ses fresques solaires du vivre haïtien. Elle conte ici un siècle d’amour-haine entre deux familles, les Lafleur et les Mésidor, dans le village vraiment imaginaire d’Anse Bleue. Une histoire forcément tragique. Dont on ressort la tête pleine d’images sublimes. Comme celle-ci, brossant le début de la dictature : La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs. »