LIBRAIRIE MOLLAT, DAVID VINCENT, Bordeaux, jeudi 10 juillet 2014


« De la cerfitude involontaire »

« Il n’y a pire cruauté qu’un animal des forêts jeté dans une ville, folie et démence le guettent au milieu de la furie des hommes. Si le personnage imaginé par Marion Richez dans son premier roman à paraître chez Sabine Wespieser n’est pas un cerf aux abois lâché dans Paris mais plutôt une belle jeune femme, du genre working woman suractive et ambitieuse qui a coupé les ponts avec sa famille pour n’avoir pas à traîner derrière elle la moindre chaîne, il y a en elle une autre femme qui sommeille et dont le réveil pourrait être brutal, comme une belle au bois dormant qu’on plongerait d’un coup dans un monde qui n’est pas le sien. Impitoyable, elle a enfin tracé sa route après avoir accepté trop longtemps les règles de domination en cours dans notre société et manqué planter son compagnon, idéal petit tyran monté en graine à qui on collerait volontiers deux claques pour le faire taire. Car L’Odeur du Minotaure est avant tout le roman de la transformation, de la mutation, celles de Marjorie qui va croiser le chemin d’un cerf et le tuer avec sa puissante voiture. Comme si l’âme de la bête ne voulait pas relâcher son étreinte, la jeune femme va être littéralement possédée par l’animal et ses territoires, et aspirer à retrouver la forêt dont elle se découvre intimement nostalgique. Elle perd le goût du travail, se relâche et va jusqu’à assommer le ministre trop entreprenant dont elle était la plume. La folie ? Sans doute, mais une folie d’animal traqué qui gratterait en vain le sol et se frotterait aux arbres. On n’ira pas raconter l’histoire de ce bref roman parcouru d’un frisson cruel qui raconte avec la précision d’un conte une métamorphose douloureuse dans un univers dont on croit avoir banni l’animalité. Jouant avec nos références mythologiques mais sans accentuer le trait qui desservirait l’alacrité de son récit, Marion Richez sait ne pas tout dire, nous frôlant de ses images pour mieux nous faire ressentir les vertiges de son héroïne malmenée. Voilà un premier livre qui dégage un puissant fumet. C’est mieux qu’une promesse, c’est une réussite. »