LIRE, ***, Christine Ferniot, septembre 2017


« Être une femme »

« Le récit du long et douloureux chemin d’une femme enfermée dans son corps d’homme. Laurent deviendra d’ailleurs Lauren.

Léonor de Récondo adopte la concision pour décrire la violence des hommes et la maîtrise des corps. Dans Amours, son précédent roman, elle était au cœur d’une maison bourgeoise du Cher, observant Victoire et Céleste dans leurs apprentissages du désir et des humiliations. Avec Point cardinal, la romancière quitte l’esprit flaubertien de la fin du XIXe siècle pour une banlieue contemporaine, à deux pas d’un supermarché. Sur un parking, à la tombée du jour, Mathilda se démaquille sur une musique sucrée de Melody Gardot. Elle est méticuleuse, accumulant les cotons sales pour retrouver son visage pur. Puis elle retire sa robe et sa perruque et devient Laurent. Du désordre on ne voit plus rien, écrit la romancière. Mais où vient se placer le désordre ? Dans ce désir de métamorphose ou de vérité, dans ce plaisir à être une femme cachée derrière les apparences, dans cette peur d’avouer aux autres qui on est ? Je suis Laurent, faire semblant…, murmure celui qui retrouve son épouse et ses deux enfants, presque adolescents. Sans excès ni démonstration, Léonor de Récondo accompagne Laurent dans son désarroi et sa certitude. Elle choisit des lieux clos, comme au théâtre, pour marquer les scènes principales : la voiture symbolisant la transformation physique, la maison familiale où chacun mène sa vie sans se voir, le lit du couple, l’entreprise et la sortie du lycée. Des cadres marqués par l’habitude et le silence feutré. C’est justement en plaçant son histoire dans la banalité sociale que l’auteure vise juste. Il n’y aura pas de drames shakespeariens, mais des étapes à franchir, des explications à donner, une incrédulité à dépasser pour que Laurent et Mathilda se rencontrent enfin et surtout que Laurent devienne Lauren en changeant de sexe. Ce roman ne donne pas de leçon, n’affiche aucune morale bêtifiante ou lénifiante, mais propose un regard juste porté par une écriture pointue pour évoquer la vie qui façonne et bouscule, permet de vivre ou de tuer. »