MARIANNE, Clara Dupont-Mondod, vendredi 23 août 2019


« L’Europe ? « Des années pour l’atteindre, encore plus pour y entrer. Comme si ce continent était situé à des années-lumière de la Terre. »

Or la survie est plus coriace qu’une planète. Elles s’appellent Chochana, du Nigeria ; Semhar, de l’Érythrée ; Dima, de Syrie. La première, victime du réchauffement climatique, ne peut plus rien faire pousser. La deuxième sait qu’elle poussera mal dans un pays de dictature. La troisième ne peut plus pousser la porte de sa maison d’Alep depuis la guerre. Alors elles partent pour l’Europe.

On a vu nombre de reportages, d’images terribles de ce qu’est la trajectoire d’un migrant. Le roman mêle l’informatif et la narration intime. Que se passe-t-il dans la tête d’une jeune femme de 20 ans serrée dans un camion qui fend le désert, et reste impuissante à secourir un corps que les passeurs abandonnent sur le sable ? Que ressent-elle lorsque, dans un entrepôt de Libye, un gardien la désigne pour la violer toute la nuit ? Quelle pensée, quel sentiment, la traverse quand elle s’agrippe à la balustrade d’un chalutier plein à craquer de gens comme elle ? Louis-Philippe Dalembert a choisi le point de vue féminin, décliné en trois visages, pour une démonstration éblouissante : la mue d’une femme en guerrière, en acier, en matériau si solide qu’au bout du compte aborder une planète est possible. Car ces femmes tiennent. Elles gagnent. Elles surgissent des flots méditerranéens, héroïques, prêtes pour une nouvelle vie, et pourtant l’écriture n’a rien cédé à la candeur. Au contraire : au vu des épreuves endurées, décrites avec réalisme, les silhouettes que l’on nomme « les migrants » pèsent leur poids de courage.