RTBF, chronique littérature, Sophie Creuz, vendredi 13 novembre 2020


C’est un très court récit que Sophie Creuz nous propose, Ce genre de petites choses de Claire Keegan, un roman de quelques pages seulement mais que vous n’oublierez pas. Un de ceux qui s’installent en nous comme s’il avait creusé son espace pour y être déposé.

L’art d’écrire des choses courtes mais pleines

Claire Keegan est une auteur irlandaise qui a l’art d’écrire des choses courtes mais pleines. Elle nous avait donné entre autres, « Les Trois lumières », le récit tout simple d’une enfant qu’un père brutal dépose chez de lointains voisins, le temps que sa femme accouche. Ce qui partait mal pour cette petite fille allait devenir un été merveilleux grâce à la bienveillance de gens simples, peu bavards, qu’on devinait meurtris mais qui se réparaient avec cette enfant. Rien n’était dit et tout était dit.

Dans ce nouveau roman, il est à nouveau question d’enfant et de réparation, et de grandes douleurs et de grandes bontés. Et nous avons bien besoin de romans comme ceux-là, qui aident à tenir le coup et à reprendre confiance.

Percevoir les silences et les regards qui échappent

Claire Keegan nous emmène à nouveau en Irlande, mais cette fois à l’approche de Noël. Nous suivons Bill, marchand de charbon qui est toute la journée sur les routes avec son camion. C’est un très brave homme, père de cinq filles, marié à Eileen. Ils ne sont pas riches et tout est compté. Et Bill a du mérite car il est le fils illégitime d’une servante. Vous devinez qu’il y a là un petit côté Dickens, sauf que chez Claire Keegan vous ne trouverez pas les grandes orgues de la destinée, non, nous suivons calmement une mélodie en sourdine. Et c’est là tout son art, celui de percevoir les silences, de capter ce que chacun voit, pense ou ressent, sans le dire. Elle décrit le pas rapide de qui n’a pas envie de parler, les regards qui échappent, la honte qui pèse, les petites phrases qu’on dit à regret, les confessions qu’on ne fait pas.

Ce genre de petites choses qui produisent des merveilles de livre. C’est une auteure qui sait rattraper le destin par la manche. Nous sommes à la veille de Noël, et ceci pourrait être un conte d’Andersen si ce n’est que Claire Keegan n’est pas cruelle, elle ne va pas laisser brûler toutes les allumettes, elle va intervenir avant ! Imaginez dans le fond du décor l’austère bâtisse de ces horribles bonnes sœurs irlandaises, pas bonnes du tout, qui pendant des décennies ont brisé des filles-mères comme on disait alors, les ont privées de leur enfant et réduites en esclavage. Mais Bill le charbonnier, le brave homme devine ce que tout le monde, à mi-voix lui demande d’oublier. Il ne va pas oublier ce qu’il a vu en allant livrer le charbon un dimanche matin à l’aube. Il y a des choses que l’on fait parce qu’elles doivent être faites comme il y a des livres que l’on écrit parce qu’ils le demandent. Sans un mot de trop, sans émotion appuyée, tout en pudeur, comme cet homme, ce livre répare, à sa manière, des vies perdues.

On ne peut que remercier l’éditrice française de Claire Keegan, Sabine Wespieser qui nous fait découvrir de grands auteurs dans sa collection de livres toujours choisis avec soin. Des auteurs qui souvent entendent ce qui se tait chez des êtres dont la parole n’est pas l’usage mais qui en font un bien meilleur usage que beaucoup d’autres.

« Ce genre de petites choses » de Claire Keegan paraît chez Sabine Wespieser.

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