RTBF, Musiq3, chronique de Sophie Creuz, jeudi 10 février 2022


James & Nora d’Edna O’Brien, portrait amoureux de James Joyce, porte d’entrée pour le sommet d’Ulysse

Pour saluer le centenaire de « Ulysse » de James Joyce, Sophie Creuz nous présent James & Nora, le portrait de Joyce en couple, écrit par Edna O’Brien et paru chez Sabine Wespieser.

Portrait d’un couple atypique
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… L’un des romans les plus importants de la littérature moderne fête son centenaire. Ulysse de James Joyce a été publié dans son intégralité en février 1922. Et à cette occasion, Sophie Creuz nous parle du livre d’Edna O’Brien, James et Nora, dans lequel elle nous raconte, de manière épatante, la vie adulte de Joyce et le couple étrange qu’il formait avec Nora, une femme de chambre du sud de l’Irlande, qui ne lisait rien, mais qui était ronde, enjouée, nature, et aussi portée sur la chose que lui, et qui fut l’inspiratrice de nombre de ses personnages féminins. Il existe d’ailleurs une correspondance de leurs émois qui, écrit Edna O’Brien, est « une déferlante d’odes spermiques ». Pour les amateurs, sachez qu’elle est parue sous le titre « Lettres à Nora », dans la collection Rivages-Poche.

Une profusion a contrario de la misère matérielle dans laquelle ils vivaient. Joyce était parti volontairement de son Irlande qu’il percevait comme étriquée et sournoise, puritaine, tout ce qu’il exècre, pour rejoindre le continent.

Les coulisses d’Ulysse
Il croyait pouvoir donner des cours d’anglais tout en écrivant. Hélas, c’est une vie au jour le jour, dans des chambres meublées, qu’il va connaître avec une Nora qui doit l’attendre au cinéma avec leurs enfants. « Ulysse » a été écrit dans des conditions effroyables, pendant sept ans, à Trieste, bien que l’ouvrage se déroule sous le crachin dublinois.

Edna O’Brien est également irlandaise, elle est une très grande auteure, qui parle le « joycien » sur le bout des doigts, qui est chez elle dans cet univers à la fois trivial et lettré, attentif aux détails de la vie ordinaire et d’une inventivité folle, qui fera date et inspirera toute la littérature après lui.

Dans James et Nora, Edna O’Brien nous raconte l’arrière-cour d’un chef-d’œuvre et nous parle de la cécité, réelle, d’un homme qui souffre le martyre pour écrire, qui y laissera sa vue, ses dents et son estomac.

Mais elle le fait en écrivain, en truffant son propre texte des inventions joyciennes, manière de rendre hommage à l’illustre confrère, sans chercher à le coincer dans ses misères et ses paradoxes.

Le traducteur de cet ouvrage, Pierre-Emmanuel Dauzat ajoute une postface passionnante à propos de cette langue, qui emprunte à toutes les autres pour inventer la sienne, et sur la difficulté à traduire ce qu’il appelle « le yiddish de Joyce », à l’image de ce parler européen traversé par le russe, l’allemand, le polonais ou l’hébreu.

Voilà donc un magnifique billet d’entrée, un ticket de première classe pour embarquer sur ce paquebot de la littérature mondiale. Peut-être pendant votre congé de Carnaval ?

Écouter la chronique