SUD OUEST, Olivier Mony, dimanche 23 octobre 2022


Gabriel Byrne, portrait de l’artiste en petit garçon irlandais

Avec « Mes fantômes et moi »,  le comédien inoubliable dans « Excalibur » ou « Usual Suspects » signe un authentique objet littéraire innervé par sa terre natale.

Les acteurs sachant écrire, ça ne court pas les rues. Ceux qui considèrent qu’une morne suite d’anecdotes relatives à leur brillante carrière ne suffit pas nécessairement à faire un livre, encore moins. Quelques-uns tout de même, comme autant d’irréguliers magnifiques, échappent, le plus souvent le temps d’un volume de mémoires, à cette règle d’airain qui voudrait que tout ce qui brille à la scène ou à l’écran ne se retrouve guère sur la page blanche. Quelques noms échappés du désordre des souvenirs : Richard Burton, Dirk Bogarde, David Niven, Kirk Douglas…

À ceux-ci, il conviendra désormais de rajouter celui de Gabriel Byrne, comédien inoubliable en chevalier de la Table Ronde dans « Excalibur », en gangster dans « Miller’s Crossing », en ex-policier dans « Usual Suspects », en psychiatre dans la série américaine « In Treatment » (« En analyse ») ou en voyageur amoureux dans le sublime « Le Temps de l’aventure » (liste non exhaustive).

Avec ses mémoires buissonnières, « Mes fantômes et moi », Byrne nous offre non seulement l’un des plus beaux livres d’acteurs qu’il soit donné de lire, mais aussi un authentique objet littéraire innervé par sa terre natale, l’Irlande et quelques-uns de ses plus grands écrivains, de Yeats à Edna O’Brien.

Libre et seul

L’Irlande donc, Dublin où le futur comédien voit le jour en 1950, de parents de condition modeste. Qu’elle était verte son enfance à Gabriel. Tout au long de ces pages, il y retourne sans cesse, c’est à la fois son cher tourment et son paradis perdu. Ce qui suivra ne sera jamais qu’une façon de s’en échapper, sans le vouloir vraiment et avec un succès très relatif. Même Dieu, ça ne suffira pas.

L’enfant a 11 ans lorsqu’il entre au séminaire et quitte une première fois son île pour l’Angleterre. La rencontre (évoquée avec une infinie pudeur autant que douleur) avec un ecclésiastique qui abuse de lui le convainc du caractère fallacieux de sa vocation… À 15 ans, le voici libre. Libre et seul. Commence la ronde des petits boulots, apprenti plombier, plongeur dans un restaurant, « monsieur pipi » dans un hôtel, la vraie vie est ailleurs.

Dépression et alcoolisme

Le jeune Byrne, après s’être longtemps cherché, la trouvera donc dans les textes, sur les scènes, les plateaux de tournage. Il apprend à faire du cheval avec une « dame américaine » qui ne lui dit rien et s’avérera être Ava Gardner… Richard Burton lui parle des aléas sinistres de la célébrité et Laurence Olivier de ceux du temps. Vient avec l’une et l’autre, l’heure des deux compagnes de toujours, la dépression et l’alcoolisme. L’heure aussi d’accompagner d’hôpital psychiatrique en cure d’électrochocs, sa sœur cadette sur les chemins de sa folie qui seront sans issu. L’heure enfin de laisser toujours plus les souvenirs de ses jeunes années l’envahir.

Une vie. Une vie, tellement plus qu’une carrière. Mais avec ce livre splendide, Gabriel Byrne entre pleinement dans celle d’écrivain.