TÉLÉRAMA, Christine Ferniot, mercredi 31 janvier 2018


« À Port-au-Prince, « il y a ceux qui marchent et ceux qui ne marchent pas ». On passe des quartiers résidentiels où les riches dressent des barbelés aux ruelles maculées de détritus où les enfants cohabitent avec les rats. Dans le nouveau roman de Yanick Lahens, le lecteur croise aussi des poètes, des prostituées aux seins lourds, un journaliste bouleversé, un juge qui n’a pas peur de mourir… Avec, en fond sonore, la voix cassée de Brune, la chanteuse en bustier orange. Après La Couleur de l’aube et Bain de lune, la romancière replonge dans la nuit haïtienne, suit des ombres sur les routes déglinguées, dans une ville « gueule ouverte », agonisante et fascinante. Le juge Berthier a été assassiné, coupable de n’avoir jamais plié le genou. Sa fille, Brune, son beau-frère, Pierre, veulent savoir qui a tué cet homme intègre et pourquoi. Mais le nom des coupables n’est pas l’argument essentiel de cette enquête par laquelle l’auteure continue de déclarer son amour à une ville et un pays garrottés par la misère. Elle offre sa voix aux habitants, se glisse à côté de leurs peurs et de leur énergie. Elle laisse transpirer sa colère. Il y a quelque chose de sauvage dans Douces déroutes, qui glisse du « il » au « je », de l’universel au singulier. Yanick Lahens y décrit aussi le désir charnel et l’amitié qui réchauffe les cœurs. Densifiant son écriture jusqu’à l’électriser, elle y fait place à des citations poétiques, des œuvres musicales, composant un chant bouleversant. »