WWW.MEDIAPART.FR, Frédéric L’Helgoualch, vendredi 7 janvier 2022


« Je n’ai vécu avec elle que les premiers mois. J’ai vécu seul pendant toutes ces années. J’ai fait semblant de vivre à Paris. Je ne vivais nulle part. J’ai fait semblant des sorties au cinéma, j’ai fait semblant des soirées entre amis, j’ai fait semblant de ma carrière, j’ai fait semblant de dormir la nuit, j’ai fait semblant de vouloir un enfant, pas tout de suite, bientôt, bien sûr. J’ai fait semblant que mes pannes au lit étaient passagères, que oui, j’irais consulter. J’ai fait semblant de n’être pas complètement foutu. Je n’ai pas fait semblant de l’aimer. Je n’ai pas fait semblant de la baguette chaude de 18 heures, je n’ai pas fait semblant de ses mains, de ses cheveux, des crises de fou rire, de nos balades dans le quartier, de nos regards. Je n’ai pas fait semblant de Cabourg en hiver. Je n’ai pas fait semblant des ‘Nocturnes’ qu’on écoutait en boucle.

Je l’ai autant aimée que je l’ai abandonnée. Je ne lui ai jamais rien dit de moi. Du moi qui devait brûler. »

Elle c’est Alma, la seule femme qu’il n’ait jamais aimée, lui dont on ne connaît pas le prénom.

Alma est morte, il ne s’est pas rendu à son enterrement. N’a même pas conservé cette robe bleu nuit qu’elle et lui aimaient tant. Les notes de Chopin et la voix lacérée de Nina Simone ont résonné une dernière fois dans l’appartement, appartement duquel elle avait claqué la porte plusieurs mois auparavant. Puis il est descendu sur le trottoir (ce qu’il ne faisait plus), a jeté sans plus de cérémonie la clé du logis-forteresse dans l’égout. Il ne s’est pas retourné. Ne s’est pas plus interrogé sur les pièges que lui concoctait déjà peut-être en secret la rue, abandonnant même derrière lui ce traitement contre l’angoisse qui l’aidait pourtant à contrôler ses tocs et autres bouffées délirantes depuis des années. Marcher, marcher sans se retourner ; laisser le bitume vous avaler. Vous laver totalement la tête. […]

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