ÉTUDES, Bertrand Levoyer, juillet-août 2021


« C’est avec un plaisir sans mélange qu’on pénètre avec Edna O’Brien, grande figure des lettres irlandaises née en 1930, dans l’intimité du couple Joyce, désaccordé mais attachant. C’est aussi un portrait du virtuose auteur d’Ulysse (1922). Étrange couple, en vérité, si l’on considère le peu de goût pour les lettres de Nora Barnacle (1884-1951), femme de peu, affublée du très joycien mais peu flatteur sobriquet de bernacle nonnette, une oie sauvage dont l’espèce ne sait pas voler en formation ! En fait de muse, Nora fut peut-être bien davantage un sujet d’observation clinique pour l’œil de son mari, vagabond de l’ordre social irlandais. O’Brien, en compatriote fidèle et admirative, déploie ici un glossaire anglo-irlandais qu’elle pratique comme une seconde langue maternelle pour nous livrer ce portrait cru et peu commun, écrit à la manière de Joyce. À l’instar du yiddish, Ulysse, en plus d’être une somme d’érudition théologique et littéraire mâtinée de rabelaiseries, est cet arlequin de langues et de voix qui interdit toute lecture normative. Assurément, l’édition ne varietur, sans l’appareil critique indispensable, refroidit les velléités de lecture d’une œuvre si obscure, et Finnegans wake (1939), l’œuvre ultime et quasi intraduisible du maître, y met franchement un terme. La postface de Pierre-Emmanuel Dauzat instruit ainsi clairement sur les enjeux et les limites de l’art de la traduction face à ce corpus unique, où s’entremêlent dialectes et jeux verbaux sous le regard amusé de Joyce, cet ange exterminateur du roman. »