LE FRANÇAIS DANS LE MONDE, propos recueillis par Sophie Patois, juillet-août 2023


Votre roman commence par une étonnante course de relais. Pourquoi ce choix ?
J’avais très envie d’écrire autour de cette histoire d’« ovalistes » mais le roman historique n’est littéralement pas mon
genre ! J’ai eu alors une sorte de révélation à travers l’idée de la course de relais, qui a tout déclenché… Comme on le sait, les contraintes donnent aussi de la liberté. La course de relais m’a donné le nombre de personnages : quatre, et j’aimais cet anachronisme absolu.
Car non seulement la course de relais n’existait pas en 1869, au moment de la grève, mais c’est aussi un temps où les femmes
ne courent pas car elles sont entravées par leurs habits.
La course de relais en tant que discipline olympique féminine existe depuis 1927 je crois, mais pendant longtemps les femmes n’ont pas pu faire de marathon. Les médecins disaient qu’elles allaient avoir des descentes d’organes, des choses comme ça. La course c’est vraiment un acquis féministe, cela correspondait bien. Je ne cours pas moi-même, mais je cours en écriture pourrait-on dire…

Comment avez-vous imaginé ces quatre personnages féminins et pourquoi avoir choisi ce titre ?
Toutes ces jeunes femmes viennent d’ailleurs : du Piémont, une région liée à mon histoire familiale car mes grands-parents italiens ont émigré dans les années 1930 en Savoie, mais aussi des provinces, la Drôme, la Haute- Savoie… Elles sont toutes unies parce qu’elles ne parlent pas le français ou pas bien et qu’au fond, elles sont toutes des émigrées. Peu à peu, avec joie, le « nous » s’est imposé pour parler d’elles. Ces personnages, je les ai aussi composés avec leurs paysages. Toia vient des Langhe, là où se situe un roman de Pavese que j’adore. Je voulais aussi qu’il y en ait une qui vienne de Lyon : Clémence Blanc. C’est peut- être celle qui va plus intégrer cette rébellion : elle n’a pas le paysage que les autres ont, mais elle le crée à l’intérieur. Le titre indique que si, effectivement, il n’y a pas eu de sang versé, pas de morts dans cette révolte, c’est un changement de paradigme. Les femmes sont sorties dans la rue pour crier, chanter… La grève a échoué mais tout n’a pas été perdu dans cette mise en mouvement. […]